mercredi 10 avril 2013

Les pièges des essais cliniques - Les comprendre

 Le grand malentendu dans l'historie du cholestérol est que les leader d'opinion disent que ceux qui critiquent la théorie du cholestérol ne connaissent pas les données.
Ce qui est faux dans mon cas. J'ai basé mon analyse sur les données des essais cliniques publiés.

Voici donc quelques pistes pour comprendre pourquoi même les "meilleurs" essais (4S, LIPID, CARE) ne sont pas si utiles que ça pour des patients français.

Déjà, on peut dire en préambule que le critère de Mortalité Toutes Causes (MTC, ou Mortalité Totale) un critère très solide pour analyser une étude. Mais selon une idée reçue assez courante et qui ne tient pas, cela nécessiterait des études immenses, longues et chères. L'étude 4S a bien été faite avec ce critère de mortalité en tant que critère primaire.
Même si c'était vrai, l’industrie ne veut pas payer et prendre le risque que son médicament soit discrédité par l'étude.
Quand vous mettez 100 millions d'euros sur la table, vous voulez un résultat à coup sûr. Elle doit alors mettre une point une étude forcément gagnante.

Voilà comment procéder :

Choix du critère principal :
En prévention primaire, le critère composite de "Mortalité CV + Infarctus Non Fatal" me parait pas mal.
Un problème est que les essais utilisent souvent un critère composite basé sur des critères flous ou subjectifs, voire des décisions d’hospitalisations ou de revascularisations.

Accès aux données :
Un essai multicentrique va se dérouler dans 10 à 100 lieux différents, dans des pays différents. Les investigateurs ne peuvent pas avoir un accès direct aux données. Cela permet au sponsor (les essais sur les statines sont tous sponsorisés, et en grande partie des essais "marketing", visant l’extension d’un marché juteux) d’avoir un contrôle important des données brutes.

Choix du pays :
Le pays choisi va être un pays à fort risque, à forte Mortalité CardioVasculaire (Finlande, Ecosse, Australie, Nouvelle Zélande, USA, Irlande, ...). Or ces pays ne sont pas représentatifs de nos patients français et de leur risque bas.
Les comparaisons avec des population venant d'un autre pays sont les moins fiables.
Pourquoi ? Car les gènes peuvent être différents et le mode de vie l'est forcément.

Premier biais possible : le biais de consentement.
Il est probable que la population recrutée par un essai clinique ne soit pas équivalente à la population générale, car le simple fait d’accepter de participer à un essai clinique en dit long sur la personnalité des volontaires. Ils sont peut-être en meilleur santé que les autres malades, ou plus observants, ou avec plus de force morale ou mieux soutenus par leur entourage ou ...
Bias from requiring explicit consent from all participants in observational research

Biais de sélection :
Puis, les patients à haut risque de ces pays à haut risque vont être hyper-sélectionnés. Cette phase permet presque à coup sûr d’avoir un essai clinique positif et une AMM pour le médicament.

Run in periode :
Mais cela ne suffit pas : les patients retenus pour l’essai, qui déjà ne sont plus représentatifs du tout d’un patient français, vont être re-sélectionnés, lors d’une période de "run in". Cela permet de trier encore les fragiles, les non-observants, les bons répondeurs au médicament.

Biais sur les effets secondaires :
Pour tromper les médecins, le protocole va établir des règles extrêmes : le moindre petit incident sera utilisé pour une sortie de l’essai. Cela permet qu’il y ait presque autant d’effets secondaires dans le groupe "traitement" que dans le groupe "placebo" (ou contrôle).
Souvent même, comble de l’arnaque, on trouve même plus d’incidents dans le groupe "placebo".

Façon de présenter un résultat négatif :
Si l’essai parait montré un sur-risque (cancers, problèmes cognitifs, rhabdomyolyse, ..), il suffit de faire une fausse méta-analyse pour dire "Oh, cela devrait être dû à la chance car la M-A ne montre rien" (voir essai PROSPER : "incorporation of this finding in a meta-analysis of all pravastatin and all statin trials").

Nier ses propres résultats :
Ou alors les investigateurs peuvent dire "Bon, notre essai est négatif mais on SAIT que les statines sont efficaces, alors notre découverte n’est pas à prendre en compte" (voir essai ASPEN : "...did not confirm the benefit of therapy but do not detract from the imperative that..." )
Autre magouille dans la présentation :
On falsifie les "abstracts", qui sont peut-être la seule partie qu’un médecin pressé a le temps de lire (et auquel un citoyen lambda a accès sans payer).
Believability of relative risks and odds ratios in abstracts : cross sectional study

Privilégier la population masculine :
Autre technique : on n’inclue que des hommes (essai WoSCoP) ou alors très peu de femmes (19% dans 4S, 14% dans CARE, 17% dans LIPID) et après on claironne que le résultat s’applique aux femmes.
L’emploi des statines chez les femmes
Why Eve Is Not Adam : Prospective Follow-Up in 149,650 Women and Men of Cholesterol and Other Risk Factors Related to Cardiovascular and All-Cause Mortality

 Biaiser la présentation des résultats :
Présenter un résultat (17% de réduction de "machin"), sans préciser qu’il est Non Significatif. C'est une fraude courante dans les essais sur les statines.


Changer le protocole a posteriori :
Cela arrive et à part quelques lettres aux éditeurs, publiées bien après le buzz médiatique, la communauté médicale ne réagit pas à cette fraude majeure.
On peut changer un test statistique, un seuil de significativité ou rajouter des critères qui n’étaient pas prévu.
L'étude LRC-CPPT, qui a été une étude pivot et qui a permis la plus grande campagne médiatique pour convaincre les médecins de l'utilité d'abaisser le cholestérol, était une étude ratée, où il a fallu frauder pour arriver à la présenter comme "réussie".

Interrompre un essai clinique :
Cela permet au sponsor de dépenser moins d’argent et d’avoir un profit maximal sur la durée du brevet. Et à part quelques esprits critiques, nul ne s’insurge sur cette fraude majeure. L’essai JUPITER (Crestor°) est un exemple d’essai décapité, car stoppé net après 1,9 ans (pour un médicament prescrit à vie..).

Ne pas faire de double aveugle :
Les essais sans double aveugle sont les plus "positifs" pour le médicament testé.
Même si le double aveugle n’est pas la garantie parfaite, car il peut être contourné par un tricheur actif, il est la garantie d’un comportement identique dans les 2 groupes.
Un essai sans double aveugle est intéressant pour une hypothèse, mais n’est pas une démonstration scientifique solide.
L'étude MEGA est un essai peu fiable à cause de son protocole en Open Label.
Ce type d'études est mal contrôlée et doit être considérée comme de faible niveau de preuves.

Ne pas expliquer pourquoi les patients arrêtent l’essai :
C’est le biais des perdus de vue. L’analyse en intention de traiter (ITT) permet de corriger cela mais cela ne nous dit pas pourquoi les gens ont arrêté.
Trop de douleurs musculaires ? Insomnies ? Perte de libido ? Dépression ?
Voilà pourquoi on sous-estime les effets secondaires des statines.


Voilà, je peux continuer ainsi ad nauseam...
Mais si le sujet vous intéresse, il existe toute une littérature, étayée et référencée, qui analyse les malfaçons les plus communes.
Ensuite seulement, on arrive aux vraies fraudes des laboratoires qui dissimulent des données, trompent tout le monde et se font condamner (difficilement).
Mais cela, c’est l’exception qui confirme la règle.
C’est une goutte d’eau dans un océan de "fraude" admise et légale.


Caractéristique du patient :
Une fois qu’on a compris tout cela, on sait qu’on ne peut plus appliquer bêtement les résultats de WoSCoP ou de 4S, CARE, LIPID, à un patient français.
Ce patient est-il en surpoids ou obèse ?
Diabétique ou non ?
Hypertendu ? Traité ou non ?
Fumeur, ancien fumeur ou non fumeur ?
Quel est son âge ? Son âge correspond-il à l’âge moyen de l’essai cité ?
Quel est son sexe ? Les femmes ont été sous-évaluées dans les essais sur les statines et elles ont un Risque CV inférieur à l’homme.

Ensuite, de quelle statine parle t-on ?
Car les statines ne sont pas toutes égales.
Prenez la cérivastatine ou la simvastatine 80 mg.
Et de quelle dose parle t-on ?
De la dose appliquée dans l’essai ou de la dose usuelle ?

La statine a t-elle une AMM en prévention secondaire ?
Crestor° et Tahor° n’ont pas d’AMM. Fiche BUM
Alors que le Crestor° a réussi (avec quelles complicités ?) à obtenir une AMM sur la base de l’étude JUPITER. the Rosuvastatin-JUPITER Controversy
(Voir aussi mon article sur le scandale du Crestor°)

Ou prenons l’ézétimibe, autre molécule très prescrite et qui n’a jamais fait ses preuves. Pas d’étude de morbimortalité à ce jour pour l’ézétimibe.


Alors, avant de parler " cholestérol" ou "essai clinique", assurons-nous que nous avons tous les connaissances nécessaires pour aborder de manière satisfaisante cet enjeu de santé publique et cette surmédicalisation à base de "statines", surtout avec le scandale du Crestor° et de l'ézétimibe.


Sources :
Factors Associated with Findings of Published Trials of Drug–Drug Comparisons: Why Some Statins Appear More Efficacious than Others

Livre de Ben GOLDACRE "Bad Pharma"

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