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samedi 19 avril 2014

OMERTA dans les labos : décryptage

Confessions d'un médecin... J'aurai plutôt dit "Confessions d'un ex-cadre des labos, qui se rend compte qu'il n'a pas été un soignant, mais un businessman dont le profit vient du mensonge".
(mais ça aurait fait un titre un peu long...)
A la lecture du livre, je dirai que BD, "l'ex des labos", a bien profité de son gigantesque salaire et des délires offerts par les firmes.
Après s'être gavé, il a eu une sorte d'écoeurement, surtout quand sa position a été menacé et ses avantages réduits.
DECRYPTAGE :
Ses compétences en matière de critique des médicaments paraissent plutôt faible (il croit, par exemple, que la FDA est une agence fiable... Qu'il se renseigne auprès du livre de Peter GOTZSCHE.

Il pense aussi que le NEJM est un bon journal, la Bible américaine de la presse médicale (p 165) alors que c'est un journal très lié à l'industrie).
Mais sa connaissance de la corruption généralisée est intéressante à lire. Comme tout repenti, c'est un bon délateur, après avoir été un collaborateur.
Ceux qui pensaient que les grands journaux étaient fiables, que les essais cliniques étaient rigoureux et que la pharmacovigilance était réelle en sont pour leurs frais.
Et même si cet "ex-cadre des labos" cite Irène Frachon, Gérard Bapt, Catherine Hill, Philippe Even, Prescrire et le Formindep (page 19), cela ne rend pas la longue description de sa carrière plus sympa à lire.
(Il cite encore le Formindep ou la revue Prescrire plusieurs fois dans le livre : p46, p59, p 141, p 166) ou Marcia Angell (p 165) (mais qu'il écrit Engel, preuve de sa méconnaissance du domaine critique...) ou Eléna Pasca (p 166).

J'aurai pu résumer son récit en quelques phrases :
" Quand j'étais cadre des labos, on se gavait de pognon comme vous n'imaginez même pas et on se moquait littéralement des pauvres médecins, si faciles à manipuler. Notre seul souci était de brosser dans le sens du poil les leaders d'opinion (KOL), qui font la pluie et le beau temps dans le petit entre-soi médical français."

Au sein de son récit à vomir, on trouve quand même quelques perles :

Son expérience des labos Merck et SCHERING PLOUGH :
  • Tous les journalistes ont dit qu'il venait du labo MERCK, mais en fait il a passé sa carrière chez Schering Plough (SP), racheté par Merck en 2009.
SP a produit par exemple le Zétia (ézétrol), le fameux anti-cholestérol qui ne sert à rien, sauf à vider les caisses de l'état et à produire des effets secondaires graves chez les patients.
Voir mon article au sujet de ce mensonge commercial.

- le Subutex (buprénorphine) est un produit de Schering Plough, un "substitut de drogue" imposé à la France par lobbying, corruption et pressions politiques

Les essais "marketing" (Chapitre 7 du livre) :
  • Le repenti décrit aussi le rôle MAJEUR des études post-commercialisation, ou phase 4, ou encore "Observatoires". Ces études ne servent quasiment à rien au niveau scientifique, puisque la molécule a déjà un AMM. Mais elles permettent d'élargir le marché ou d'enrichir l'argumentaire marketing pour doubler un concurrent (p 81).
Elles ne sont publiées que si elles permettent un gain marketing, une meilleure pub, des arguments de vente pour les VRP Médicaux (VM). Sinon elles sont enterrées.
Les labos ont accès aux données pendant l'essai et arrêtent l'essai en cas de succès (ce qui économise de l'argent, comme pour JUPITER) ou en cas d'échec, pour cacher les effets secondaires sous le tapis.
Le labo peut proposer une douzaine d'études post-commercialisations pour inonder un pays de sa nouvelle molécule et s'assurer de la collaboration des médecins-chercheurs (p 193).

Faire encore confiance aux essais de phase 4, financés par les labos, serait d'une grande naïveté, avec ce que l'on sait maintenant.

La corruption subtile du corps médical :
  • Un autre point intéressant est que le repenti confesse que les médecins ne sont pas si pourris que ça : la plupart du temps, l'argent va à leur labo, pas dans leurs poche. Ce qu'ils veulent, c'est publier, faire de la recherche, quitte à collaborer avec le labo pour découvrir le prochain remède qui sauvera l'humanité (p 196).
Sauf que le processus corrompt leur libre arbitre et qu'une fois payé, les experts acceptent de "rendre la pareille", en signant un article, en intervenant auprès d'une commission, etc.
Ainsi, un contrat de "recherche" est plus noble qu'un contrat de "consultance" (réservé aux collaborateurs les plus impliqués et les plus payés), mais l'effet reste le même : l'expert n'est plus libre de sa parole.
  • Les médecins participant à des "board" (ou conseils scientifiques) sont les plus corrompus (p 95 à 99). Ce rôle est réservé à « l'élite des KOL » (Key Opinion Leader) (p 76).
(remarque perso : Gabriel STEG cumule contrats de recherche, de communication, de consultance, conseil scientifique. La totale pour ce "cardiologue", noble défenseur des statines...)

Le coup de pouce des gouvernements successifs :
  • L'implication des instances officielles ou des politiques : son livre accuse certains politiques d'être intervenus favorablement, à plusieurs reprises, pour aider au démarrage ou sauver des molécules en péril à cause de scandales sanitaires :
  • Bernard Kouchner, secrétaire d'état à la santé (p 118, p 124 à 126),
  • Simone VEIL ministre de la Santé (p119),
  • Charles PASQUA (p120),
  • l'observatoire français des drogues et des toxicomanies, Drogue info Service, INPES (p122),
  • association Toxicomanie Hépatites SIDA (p123),
  • le RPR, le Sénat (p 126),
  • un rapport officiel d'experts, demandé par Bernard Kouchner en 2001 (p 126),
  • Xavier BERTRAND, ministre de la Santé (p 127)

Rappel du scandale du VIOXX, peu connu en France :
BD a lui-même été victime du VIOXX (p131 et 132). C'est peut-être ça qui a participé à réveiller sa conscience, corrompue par le luxe et le pognon dont il s'est gavés (et qu'il décrit en détails dans son livre).
Il dit : "il m'a fallu perdre la vue pour ouvrir les yeux"

Pourtant, notre repenti pense que le marketing est la normale exagération "d'un produit montré sous son meilleur jour" (p 133). Belle mentalité.

Les marges arrières des pharmacies :
  • C'est une pratique illégal que BD n'a pas voulu cautionner. (p 147).
Il s'agit de payer un pharmacien pour qu'il délivre du SUBUTEX, au lieu d'un générique.
Cette pratique a été "révélée au grand public en 2012, lors de l'émission de télé "Les infiltrés", sous les yeux effarés d'Irène FRACHON." (p 148).

L'hypocrisie des labos face aux défauts de leurs produits :
  • Il illustre cela avec le stylo injecteur du Victrelis (chapitre 13), un traitement contre l'hépatite C.
  • Il montre que les défauts d'un produit sont toujours transférés sur le dos des patients et leur mauvaise utilisation du produit.
Donc, au lieu de régler le stylo injectant le ViraferonPeg (p 182), le labo préfère faire des campagnes "d'éducation thérapeutique".
C'est une action inutile, mais les agences du médicament peuvent alors dire qu'elles ont réagi promptement (même après des années de retard, elles sauvent la face et cachent leur incompétence, voire leur corruption).

Le labo Schering Plough (MERCK maintenant) connaissait très bien les défauts du stylo, qu'il appelait en interne "le stylo pourri" (p 174) et cela malgré l'avertissement d'un professeur du CHU de Nice, Albert TRAN.
Article Libération : L’Afssaps aux trousses du stylo de Merck

Dans le dossier SUBUTEX, les défauts du produit étaient mis sur le dos des "toxicos". (p 175).


L'échec de la pharmacovigilance :
  • En général, les services de pharmacovigilance des labos ne font pas leur boulot : ils ne transmettent pas, ou mal, ou avec retard, ou en cachant des cas de problèmes avec leurs produits.
Cela "consiste à aveugler l'autorité du médicament". (p 180).

Le labo Schering Plough "a admis avoir dissimulé 250 réclamations pour la seule année 2011" (p 183).
Le médicament Victrelis provoque des anémies sévères, ce qui oblige à ajouter de l'EPO, hormone de synthèse qui provoque aussi des effets secondaires (p 195, p 201).

Les industriels savent que les médecins ne font pas bien leur travail de pharmacovigilance. C'est un travail compliqué, non gratifiant et son absence n'est pas sanctionné. On peut dire que 1 médecin sur 100 fait bien son travail dans ce domaine.
Cette sous-déclaration des effets secondaires permet d'ailleurs aux firmes de dire partout que "leurs produits sont très sûrs et qu'il y a très peu de déclarations d'effets secondaires".

Avec 1% des déclarations, ils peuvent se vanter...


Le mépris des labos pour les médecins et les agences :
  • Ce qui est le plus frappant dans ce livre, c'est à quel point les firmes du médicament méprisent les prescripteurs qu'ils influencent et les agences censées les surveiller.
L'Agence du Médicament (AFSSAPS, puis ANSM) est ainsi qualifiée de "vraie passoire infiltrée par les industriels" (p 187).
Les fonctionnaires ont un "faible niveau de compétence", ce qui est énervant quand il faut "leur expliquer 15 fois un mécanisme simplissime" . Mais cela a un avantage : "ces fonctionnaires sont incapables de deviner les petites manipulations des études et des chiffres" (p 187).

De plus, les experts indépendants sont méprisés pour les sommes ridicules qu'ils touchent ("500 euros pour un boulot titanesque !" (p 196) alors que les cadres de l'industrie ont salaire énorme, voyages en classe Affaires et voiture de luxe de fonction.

Pour une analyse utile, on touche 500 euros, alors qu'un prétendu "chercheur" dans une étude de phase 4 va toucher 1000 à 3000 euros pour CHAQUE PATIENT dans une étude inutile et dangereuse pour la santé publique.
Les chèques de 10.000 à 100.000 euros ne sont donc pas rares dans ce luxueux monde de la corruption médicale quotidienne. Et cela est parfaitement légal, puisqu'il y a un contrat, secret pour le public (p 197).

L'argent liquide, circulant dans des enveloppes brunes, existe mais c'est l'exception. La corruption ordinaire est légal, avec TVA et documents administratifs à l'appui. Mais le gouvernement actuel ne veut pas que le grand public connaisse le montant de tels contrats. Il serait alors trop évident que les experts actuels sont tous des employés temporaires des firmes PHARMA.

Les pistes qu'il propose :
  • mieux former le jeunes médecins aux médicaments
  • reformer la Formation Continue, sous influence des labos
  • embaucher de vrais experts indépendants
  • durcir les AMM pour les "me-too"
  • obliger les industriels à TOUT publier
  • rendre obligatoire la déclaration des liens d'intérêts, avec de vrais sanctions
  • publier les sommes versées par les firmes
  • appliquer la législation anti-corruption
  • créer une action de groupe à la française
  • aider la recherche, seule garante de vrais progrès médicaux futurs

Il propose aussi aux patients "d'inviter les praticiens à justifier leurs prescriptions". (p 207), "pour ressortir d'un cabinet médical avec de précieux conseils , mais sans ordonnance à rallonge".

Finalement, beaucoup de "bla bla" pour arriver à formuler ce que le Formindep demande depuis 10 années...


L'autre partie du livre est consacrée à :

- l'affaire VIOXX
 - l'affaire GARDASIL

L'analyse de la journaliste n'est pas mauvaise et pourra apporter quelques informations à un lecteur qui n'a jamais rien lu sur ce sujet.

L'affaire VIOXX (rofecoxib) et CELEBREX (celecoxib) mériterait d'être mieux connue des médecins qui prescrivent des COXIB.












jeudi 9 janvier 2014

Quels risques à arrêter une statine ? - Revue Médecine




La revue Médecine a sorti 4 articles à propos des statines. J'en propose ici une vue d'ensemble.

EDITORIAL de Jean-Pierre Vallée - Revue Médecine
L'édito rappelle que la rosuvastatine et l'atorvastatine "relativement récentes, largement promues, mais, contrairement à l’opinion générale, n’ayant pas démontré d’efficacité sur la mortalité totale. Ce sont deux hypocholestérolémiants, uniquement étudiés sur des critères intermédiaires"
Il rappelle aussi l'échec des fibrates et du torcetrapib (inhibiteur de la CETP), malgré leur efficacité sur les "chiffres" du cholestérol".
Il évoque la dernière recommandation (NHLBI / AHA) qui :
Ce numéro de Médecine a pour but : "de répondre à une urgence du moment : remettre à sa juste place – de propagande – un article stigmatisant publiquement la dangerosité de l’arrêt des statines, donc celle des prescripteurs qui, pour une raison ou une autre, seraient coupables de cet arrêt."


Note : cet éditorial fait référence a un article "pseudo-scientifique" émanant de cardiologues qui ont de forts liens d'intérêts avec l'industrie et qui ont réalisé une étude bancale, hasardeuse et approximative, qui a pour but de nuire à l'image du Professeur Philippe EVEN, ainsi qu'à son livre "La vérité sur le cholestérol".
En effet, ces leaders d'opinion sous-entendent qu'arrêter un traitement par statines serait dangereux et aurait conduit à des morts (grâce à des hypothèses et des statistiques trompeuses de leur article, peu crédible)


Quels risques à arrêter une statine ? Michel de Lorgeril
L'article de Michel est plus radical, vous vous en doutez, mais repose sur l'analyse de nombreux essais.
Il rappelle l'importance de l'année 2006, où la nouvelle réglementation a été mise en place.
Après avoir montré la faiblesse de l'article mis en avant par des cardiologues parisiens (article qui vise à culpabiliser toute personne ayant un esprit critique sur les statines, car il pourrait "tuer" des gens qui arrêteraient leur traitement...), l'auteur répond à la question statine par statine :
  • Inefficacité totale de la rosuvastatine (Crestor°) : études JUPITER, CORONA, GISSI, AURORA
  • Comparaison rosuva vs atorvastatine : SATURN, MIRACL => aucune efficacité de l'atorva (Tahor°)
  • Inefficacité de la simvastatine : IDEAL (simva vs atorva) => inefficacité de Zocor°, Lodales°, Inegy° ou de ses 27 génériques

Il conclue sur l'avis d'experts indépendants : " [...] chez les sujets à faible risque, les statines n’ont aucun intérêt", laissant de plus entendre clairement que l’arrêt du traitement ne pourrait avoir que des bénéfices."

L'arrêt des statines est-il dangereux - La rédaction de Médecine
L'article explique que l'article de Michel de Lorgeril n'a pas fait l'unanimité, mais que ces arguments sont suffisamment intéressants :
"Il nous a donc semblé que les arguments développés par Michel de Lorgeril pour « rendre leur liberté de prescription aux médecins, qu’il faut arrêter de terroriser avec de fausses alarmes », méritaient d’être entendus et discutés, [...] "
L'article rappelle ce que les articles du FORMINDEP disent :
- des enjeux complexes
- une influence intense de l'industrie, même envers les "guidelines"
- un coût annuel de 1 000 000 000 d'euros
- un mécanisme mal connu, qui va au de-là de la baisse du "cholestérol"
Les auteurs rappellent qu'un "petit groupe de cardiologues parisiens" (des KOL ou leader d'opinion) ont produit un "article alarmiste", comportant des "informations approximatives", issue d'une "extrapolation hasardeuse d'une unique méta-analyse de 2009", avec tous "de puissants liens d'intérêts".
L'article insiste sur la continuité entre prévention secondaire et prévention primaire : " La réduction relative de la mortalité y est constante, d’environ 10 % pour l’ensemble des essais inclus, effet peu influencé par la nature ou le contexte de ces essais."
" Le même raisonnement pourrait être tenu sur les critères cliniques « secondaires » que sont les infarctus du myocarde et les AVC, mais avec plus d’incertitudes [...]"
L'article souligne les conclusions d'une méta-analyse de 2010 :
" Les essais les plus anciens ont le plus faible niveau de preuve"
" la faiblesse du gain individuel en termes de probabilité de décès."

L'arrêt d'un traitement « inefficace » – parce que non justifié – est sans conséquence.
L’arrêt d’un traitement « efficace » : on ne sait pas (trop de paramètres…)
Conclusion de l'article :
" Plutôt que de se sentir contraints par les guidelines à prescrire des statines aux patients à faible risque cardio-vasculaire, les médecins leur rendraient un service autrement plus important en leur expliquant l’ampleur des avantages et des incertitudes sur les méfaits des statines et en discutant des données épidémiologiques qui montrent que les risques comportementaux – tabac, sédentarité, et nutrition inadaptée – sont responsables de 80 %des maladies cardio-vasculaires."

Statines : étonnante histoire d'un blockbuster - Jacques Beaulieu

La mévastatine (ML-236B), a été le premier membre de la classe des statines à voir le jour en 1976. Sa production fut stoppée peu après car le médicament administré à forte dose provoquait de sévères lésions musculaires.

En 1987 la lovastatine puis en 1989 la simvastatine (Zocor°)

En 1985, il réalisa la synthèse de l’atorvastatine, produit qu’on nomma le CI-981. Dilemme : lors des essais sur les animaux, le produit ne s’était pas montré supérieur à la lovastatine de Merck, déjà en marché.

La compagnie avait alors peu de projets dans son pipeline et il fallait arriver avec un nouveau médicament, la protection du brevet de leur médicament phare, le Lopid, un fibrate, arrivant à expiration. Par ailleurs, même s’il n’allait chercher que 10% du marché des statines avec l’atorvastatine (Tahor°), le potentiel demeurait encore des plus rentables.


NB : Or, le Tahor rapporta un jackpot absolu : plus de 120 milliards de dollars en 14 ans. Un médicament peu efficace et toxique n'a pu réussir qu'avec un marketing intense, mensonger et planétaire.


Conclusion générale : L'ensemble de ces 4 articles montre bien qu'il y a des enjeux économiques gigantesques (personne n'en doutait...) mais qu'il y a maintenant une volonté des "scientifiques" payés par l'industrie de nuire au débat d'idées, et d'étouffer toute controverse par de la propagande et du marketing mensonger. 

Ces quelques cardiologues parisiens sont nuisibles et ont "prostitué" leur savoir, dans leur propre intérêt, reniant le serment d'Hippocrate depuis longtemps. 

Les experts américains du cholestérol sont devenus fous !

 Analyse critique de l'atorvastatine (TAHOR°)  

Le scandale du CRESTOR° (rosuvastatine) 

 

 

 

mardi 30 avril 2013

Essai HPS : dissimulation des données

L'étude Heart Protection Study (HPS) est un bon exemple d'étude biaisée et trompeuse. Regardons de plus près ce qui ressemble à de la "science" et ce qui se rapproche plutôt du "marketing" dangereux.



Premièrement, quand on sait qui finance l'étude et qui la réalise, on peut déjà être méfiant.
Le sponsor est MERCK, connu pour ses multiples procès et son influence tentaculaire.
Merck c'est le VIOXX, soit 100000 victimes, plusieurs dizaine de milliers de morts.
Les investigateurs principaux sont une officine des labos, avec une apparence de respectabilité universitaire : c'est le fameux CTSU (voir mon article sur cette bande de leaders d'opinion payés par l'industrie).

On a donc tous les voyants au rouge, et toutes les raisons de ne pas être crédules en lisant leur étude.

MERCK est le fabricant de la simvastatine. Aussi, tous les essais majeurs sur ce produit commercial sont sponsorisés et contrôlés par MERCK, ce géant pharmaceutique.
C'est MERCK qui a produit le "miraculeux" essai 4S, dont les résultats impressionnants n'ont été égalé par aucun autre essai depuis, même les plus biaisés.
Cela montre que l'essai 4S est "exceptionnel", un cas unique, à part. Merci MERCK !

Ce que peu de monde sait, c'est que l'essai HPS n'était pas là que pour tester la simvastatine (et mieux la vendre).
C'était un essai complexe, qui testait aussi des antioxydants (vitamines E et C, bêta-carotène).
Il y avait en fait 2 hypothèses, ce qui est toujours plus dur pour conclure de manière scientifique, même lorsque l'on est honnête et rigoureux.
Il y avait donc 4 groupes de 5000 personnes environ :
  • simvastatine + antioxydants
  • simvastatine + placebo (statine seule)
  • placebo + antioxydants
  • placebo + placebo (placebo seul)
Il aurait été intéressant de connaître les résultats du groupe "statine seule" contre le groupe "placebo seul". Mais au pays du marketing et des dissimulations, nous n'y aurons pas accès.
HPS est un essai marketing de MERCK, destiné à augmenter les prescriptions de statine et à changer les recommandations internationales.
Pas à faire de la bonne science.

Les investigateurs le disent eux-mêmes dans ce qu'il publient : cette étude est une justification à la prescritipn de statines et a pour but d'apporter des éléments pour en prescrire à des populations sur lesquelles on n'avait pas encore assez d'éléments.
Bravo  les scientifiques ! En 2002, les statines sont diffusé massivement depuis plus de 10 ans, et un groupe de "génies" a l'idée de chercher si c'est efficace ou pas dans différents groupes.
On n'aurait pas du commencer par là ???

On voit bien que cela ne tient pas debout, ni éthiquement, ni scientifiquement.
Mais commercialement, alors là oui cela tient debout.
Et évidemment, toutes les agences sanitaires mondiales vont se faire avoir, comme toujours.
On aurait du mettre l'AFSSAPS en examen pour "naïveté dangereuse" ou "incompétence mortelle", depuis longtemps, et bien avant l'affaire du MEDIATOR.


 Après ces quelques considérations critiques, visant le contexte marketing et les conflits d'intérêts financiers, regardons maintenant la façon dont les résultats sont présentés.

Inclusion et première fraude
On voit que 63603 personnes ont été analysées et auraient pu participer à l'essai.
Seulemen 32145 vont accepter.
Il va alors se dérouler une phase, appelée "phase de triche légale, qui fraude les résultats mais dont personne ne parle".
On dit aussi en langage naïf : phase de pré-randomisation ou "run-in phase".

C'est une phase qui permet aux scientifiques payés par MERCK et contrôlés par MERCK de voir quels seront les meilleurs patients pour que l'essai soit un succès commercial.
Pour cela, il faut écarter les patients fragiles, qui ressemblent trop aux patients réels.
Et il faut garder des patients qui réagissent bien à la statine (LDL-lowering responsiveness) et qui n'ont pas trop d'effets secondaires (Compliants individuals who did not have a major vascular event or other serious problem during the run-in).
Cette phase élimine ainsi 36% des gens qui ont accepté de participer à l'essai.
Au final, on en garde 20536.

La population de cet essai a déjà eu des accidents coronaires ou un infarctus : 65%.
Le reste a eu des AVC, des maladies artérielles et/ou du diabète de type 2.
Notons que les investigateurs nous cachent les caractéristiques de la population, alors que c'est une information de base, demandée pour chaque essai publié.
On ne connait même pas l'âge moyen.
On ne sait pas si les groupes sont équivalents.
Bravo à  The Lancet, qui publie (une fois de plus) un essai mal fait et mal présenté.

HPS n'est donc pas un essai de prévention primaire, mais bien secondaire.


Les données sur la mortalité sont cachées
Autre point choquant dans cette mascarade de science" : les données sur la mortalité ne sont pas données.
Au lieu de comparer le groupe "statine" et le groupe "placbo", ils prennent l'ensemble et en font un gros paquet informe.
Comment The Lancet peut-il publier un tel torchon, sans avoir le couteau de MERCK sous la gorge ?

Résultats de HPS
On trouve donc 12,9% de morts dans le groupe "simvastatine 40mg" et 14,7% dans le groupe "placebo". Soit une réduction gigantesque et incroyable de 1,8% en 5 ans, sur 10 000 personnes.
Un quasi miracle non ?
Cela correspond à 57 personnes, qu'il faut traiter pendant 5 années, pour espérer en sauver une.
On appelle cela le NNT (Number Needed to Treat).

Un miracle certainement, car tous les autres essais faits à la même période ne montrent pas de réduction de la mortalité :   

MERCK est donc le seul à arriver à produire des résultats "miraculeux", ne correspondant pas aux autres études et dissimulés par des études floues et mal publiées. Bravo MERCK !

A noter aussi qu'ils sont capables d'appeler un résultat favorable "marginalement significatif", quand cela va dans le sens du marketing, alors qu'il est négatif (p=0,07, "death of other vascular causes").
Et quand un résultat négatif pour le marketing est proche d'être significatif (p=0,06), là il l'appelle "résultat négatif".
C'est vous dire le sérieux de ces gens...
En général, les résultats des essais cliniques sont décrits avec ce type de mauvaise foi, qui ne s’apparente plus à de la science mais à du boniment de marché, à du marketing trompeur.


Les femmes de HPS
Pour une fois, un essai a recruté un peu plus de femmes que d'habitude, et c'est un gros essai.
Il y a 33% de femmes, ce qui est mieux que 14% (CARE) ou 17% (LIPID) 18,5% (essai 4S) ou carrément 0% (WoSCoPS)

Cependant, les auteurs ne publient pas les données de mortalité pour les femmes.
Cela ne doit pas être une population assez nombreuse sur Terre.
On sait juste que les femmes vont bénéficier globalement (sans aucun détail entre les 4 sous-groupes) d'une amélioration de 3,3%, après 5 années, du nombre d'événements.
C'est la moitié des hommes (6%). Les statines réussissent moins bien aux femmes.
Une donnée bien floue, pour un essai qui veut démontrer que les statines profitent aux femmes mais sans oser nous dévoiler les vraies données en fonction du genre.
Une fois de plus, le marketing est loin de la réalité des chiffres.


Les personnes âgées
On sait que plus on vieillit, plus on est à risque.
Selon le dogme des vendeurs de statines, plus on est à risque et plus une statine vous apporte un bénéfice.
Regardons cela pour les personnes âgées :
  • moins de 65 ans : 16,9 - 22,1 = 5,2% de réduction
  • entre 65 et 70 ans : 20,9 - 27,2 = 6,3 %
  • plus de 70 ans : 23,6 - 28,7 = 5,1%
Contrairement au marketing, les personnes les plus âgées sont celles qui bénéficient le moins de la prise de la simvastatine.
Ce résultat correspond à la majorité des études épidémiologiques, où un bas cholestérol est synonyme de mortalité accrue chez les personnes âgées.


vendredi 12 avril 2013

Le CTT du CTSU d'Oxford - L'Université et Big Pharma, main dans la main

Dans cette guerre médiatique, certains groupes ou individus ont plus d'importance que d'autres. Ce sont eux qu'on appelle les "leader d'opinion clefs" (ou Key Opinion Leader).

Parmi tous les groupes qui ont dédié leur vie à mettre à bas le cholestérol de l'humanité (et le plus bas possible), il y a un groupe d'activistes qui est plus puissant, plus influent et qui est mieux caché que les autres.

Les collaborateurs du  CTT (Cholesterol Treatment Trialists), se trouvent au sein du CTSU d'Oxford (Clinical Trial Service Unit).
Ce groupement a pour rôle de donner de la solidité à des essais cliniques commerciaux (faits après la phase IV, c'est à dire avec des médicaments qui ont déjà l'AMM (1) grâce à une méthode statistique.

Leur façon de procéder est à la fois simple et contraire aux lois de la science (lois que la plupart des médecins ignorent s'ils n'ont pas un peu de bagage scientifique ET critique).

Il s'agit d'agréger ensemble des choses qui ne peuvent pas l'être.
En gros, leur méthode permet d'additionner des pommes avec des oranges, et d'en déduire une influence sur la consommation de bananes.

Pour procéder à cette manipulation statistique, ils utilisent un procédé tout à fait honorable et intéressant : la méta-analyse.
(je n'ai rien contre la méta-analyse, quand elle est bien faite, selon les règles de la méta-analyse, ce qui est rarement le cas malheureusement).

Pour pouvoir agréger des études ensemble, il faudrait que ces études portent sur le même type de patient et portent sur le même traitement.
Cette précaution élémentaire n'est pas respectée et j'en termine là mon explication sur la méta-analyse (qui pourrait prendre plusieurs ouvrages autrement).
(Pour en savoir plus, voir l'excellent site de Michel CUCHERAT : Interprétation des essais cliniques pour la pratique médicale)

L'autre problème que posent les activistes anti-cholestérol est leurs nombreux conflits d'intérêts et leur financement, caché derrière une façade universitaire.

 Ils se sont abrités derrière le nom prestigieux de l'Université d'Oxford, pour acquérir ce vernis de respectabilité.
Pourtant, on a des indices forts qu'ils ne sont pas indépendants de l'industrie Pharma, par le biais des financements et par leur histoire personnelle d'acharnés défenseurs de la théorie du cholestérol.

Le CTSU a déjà produit plusieurs études pour l'industrie Pharma et a reçu plus de 100 millions de livres depuis 1997 (2)  :
  • l'étude  HPS ( MRC/BHF Heart Protection Study)
  • l'étude HPS2-THRIVE (Treatment of HDL to Reduce the Incidence of Vascular Events)
  • l'étude HPS3-REVEAL (Randomized EValuation of the Effects of Anacetrapib through Lipid-modification)

L'étude HPS a été mené par Rory Collins, Jane Armitage, Sarah Parish, Peter Sleight et Richard PETO. L'un des sponsors de cette étude était MERCK (financement : 8 millions de dollars), le producteur de la simvastatine utilisée dans l'étude.
Les auteurs se déclarent indépendants (les yeux dans les yeux, comme dans l'affaire Cahuzac).

Le CTSU d'Oxford a reçu la bagatelle de 42 millions de livres sterling pour coordonner la grande étude HPS2-THRIVE, visant à tester si l'augmentation du HDL pourrait diminuer le risque d'infarctus. Les médicaments sont la simvastatine, l'ézétimibe et le cocktail niacin/laropiprant (TREDAPTIVE°), des médicaments de MERCK.
 (échec commercial de l'essai montrant qu'il n'y a aucun intérêt à ajouter autant de médicaments aux effets toxiques additionnels, ce qui est pour moi une réussite scientifique, et non pas un échec)

L'étude HPS3-REVEAL porte sur un autre médicament de MERCK : l'anacetrapib. (3) 


C'est une externalisation de la recherche.
Les employés du CTSU semblent "indépendants" puisque c'est Oxford qui les paie avec l'argent de MERCK.
Rien d'illégal là dedans. Tout le monde est ressort blanchi et l'argent n'a pas d'odeur.


(1) Autorisation de Mise sur le Marché

(2http://www.theheart.org/article/906061/print.do : the CTSU has received roughly £105 million from Merck and Schering-Plough since 1997. This includes £35 million for the SHARP trial as well as £70 million for three other major CTSU studies, including the Heart Protection Study, the SEARCH trial, and THRIVE/HPS-2, and genetic analyses of stored samples from those trials.
 
(3) Les Cetrapib (inhibiteurs de la CETP) sont une impasse thérapeutique basée sur le dogme du "gentil" HDL. Le torcetrapib a déjà échoué (échec financier : 23 milliards perdus en quelques minutes). Les autres vont échouer aussi.
Les patients ont moins de LDL et plus de HDL : ils meurent davantage. Échec médical majeur.
Fin du dogme du HDL ? Non ! Car il y a trop d'argent à se faire.



Sources :
http://www.ctsu.ox.ac.uk/research/mega-trials
http://www.thrivestudy.org/
http://www.ctsu.ox.ac.uk/research/meta-trials/ctt



Contributing trials:
A to Z trial (phase Z) J de Lemos, E Braunwald, M Blazing, S Murphy;
AFCAPS/TEXCAPS (AirForce/Texas Coronary Atherosclerosis Prevention Study) J R Downs, A Gotto, M Clearfield;
ALERT (Assessment of Lescol in Transplantation) H Holdaas;
ALLHAT (Antihypertensive Lipid Lowering Heart Attack Trial) D Gordon, B Davis;
ALLIANCE (Aggressive Lipid-Lowering Initiation Abates New Cardiac Events) M Koren;
ASCOT (Anglo-Scandinavian Cardiac Outcomes Trial) B Dahlof, N Poulter, P Sever;
ASPEN (Atorvastatin Study for the prevention of coronary heart disease endpoints in noninsulin dependent diabetes mellitus) R H Knopp (deceased);
AURORA (A study to evaluate the Use of Rosuvastatin in subjects On Regular haemodialysis: an Assessment of survival and cardiovascular events) B Fellström, H Holdaas, A Jardine, R Schmieder, F Zannad;
BIP (Bezafibrate Infarction Prevention Study), U Goldbourt, E Kaplinsky;
CARDS (Collaborative Atorvastatin Diabetes Study) H M Colhoun, D J Betteridge, P N Durrington, G A Hitman, J Fuller, A Neil;
4D (Die Deutsche Diabetes Dialyse study) C Wanner, V Krane;
CARE (Cholesterol And Recurrent Events Study) F Sacks, L Moyé, M Pfeffer; C M Hawkins, E Braunwald;
CORONA (Rosuvastatin in Older Patients with Systolic Heart Failure) J Kjekshus, H Wedel, J Wikstrand;
GISSI (Gruppo Italiano per lo Studio della Sopravvivenza nell'Infarto miocardico)–Heart Failure L Tavazzi, A Maggioni;
GISSI–Prevention R Marchioli, G Tognoni, M G Franzosi, A Maggioni;
HPS (Heart Protection Study) R Collins, J Armitage, A Keech, S Parish, R Peto, P Sleight;
IDEAL (Incremental Decrease in Endpoints through Aggressive Lipid-lowering) T R Pedersen;
JUPITER (Justification for the Use of Statins in Prevention: an International Trial Evaluating Rosuvastatin) P M Ridker;
LIPID (Long-term Intervention with Pravastatin in Ischaemic Disease) J Simes, A Keech, S MacMahon, I Marschner, A Tonkin, J Shaw;
LIPS (Lescol Intervention Prevention Study) P W Serruys;
MEGA (Management of Elevated cholesterol in the primary prevention Group of Adult Japanese) H Nakamura;
Post-CABG (Post- Coronary Artery Bypass Graft Study) G Knatterud;
PPP (Pravastatin Pooling Project) C Furberg, R Byington;
PROSPER (Prospective Study of Pravastatin in the Elderly at Risk) P Macfarlane, S Cobbe, I Ford, M Murphy, G J Blauw, C Packard, J Shepherd;
4S (Scandinavian Simvastatin Survival Study) J Kjekshus, T Pedersen, L Wilhelmsen;
PROVE-IT (Pravastatin or Atorvastatin Evaluation and Infection Therapy) E Braunwald, C Cannon, S Murphy;
SEARCH (Study of Effectiveness of Additional Reductions in Cholesterol and Homocysteine) R Collins, J Armitage, L Bowman, S Parish, R Peto, P Sleight;
TNT (Treating to New Targets) J La Rosa;
WOSCOPS (West of Scotland Coronary Prevention Study) J Shepherd, S Cobbe, P Macfarlane, I Ford.

dimanche 7 avril 2013

L’histoire commerciale des statines - 1) Avant les statines



L’histoire commerciale des statines

1 - Avant les statines 

Dans les années 60, le cholestérol n’avait toujours pas de médicament "palatable" pour le patient (palatable signifiant acceptable pour le palais du patient et entrainant une observance suffisante au traitement). Les médicaments abaissant le cholestérol n’étaient pas sûrs, n’étaient pas efficaces ou avaient des effets secondaires gênants, rendant la thérapie intenable. Le bénéfice des thérapies non médicamenteuses (comme des régimes anti-cholestérol) n’avaient pas de bénéfices démontrés.

Dans les années 70, de nombreux auteurs ont commencé à dénoncer l’idée que s’intéresser à un cholestérol élevé n’était qu’un charlatanisme sanitaire.
En 1980, la NAS (National Academy of Sciences) sortit un rapport suggérant que les efforts visant à contrôler la cholestérolémie manquaient de justifications dans la pratique clinique et dans la littérature scientifique. Comment le cholestérol avait-il perdu son intérêt dans le corpus grandissant de la cardiologie préventive ? Et comment, dans la période suivant 1980, ce composé a-t-il retrouvé sa place dans la sphère de l’activité clinique « mainstream » (reconnue ?) et mobilisé l’anxiété du public ?
Comment la théorie du cholestérol a pu passer d’une idée relevant du « charlatanisme » en 1980 à une acceptation quasi-mondiale en  1985 ?

L’athérosclérose et l’idée pastorienne du germe
L’idée que le cholestérol est lié à l’athérosclérose provient d’un modèle de maladie basée sur les lésions. Le fait est qu’on retrouve du cholestérol dans les plaques d’athérosclérose. C’est ainsi que des chercheurs ont eu l’idée d’assimiler le cholestérol à un « germe », selon le concept que toute maladie a une cause unique, que l’on pourrait donc traiter par un médicament unique : c’est le concept du traitement miracle (« magic bullet »). C’est à cette époque que l’idée qu’un élément non vivant pouvait aussi être à l’origine d’une maladie (vitamine B3 et pellagre, vitamine B12 et anémie pernicieuse ou silice et silicose).
L’idée serait donc que le cholestérol serait l’agent principal de l’athérosclérose, comme le bacille de Koch est celui de la tuberculose. Dans les années 30 et 40, on commença donc à inoculer du cholestérol à des lapins ou à des chiens, avec des résultats d’abord controversés ou inexistants, jusqu’à ce qu’un modèle de poule (omnivore) rendue malade par du cholestérol commence à convaincre (Katz, 1952).
Mais le cholestérol étant fabriqué par le foie et présent chez tous les humains, ainsi que la nature asymptomatique de l’athérosclérose, la translation entre cholestérol et maladie était dure à faire du laboratoire à la pratique clinique.
Il fallut l’intervention active d’hommes comme Jeremiah STAMLER et Ancel KEYS pour que l’idée que le cholestérol était un facteur de risque commence à entrer dans les cerveaux des médecins. Pour cela, la promotion du résultat de certaines études épidémiologiques comme Framingham ou l’étude des 7 pays était nécessaire.

L’échec successif de nombreux médicaments
Mais pour convaincre une communauté médicale, il faut plus qu’un modèle animal ou qu’une étude épidémiologique. Il faut une étude clinique et un traitement à proposer. La recherche d’un traitement réduisant le cholestérol produisit donc de nombreux agents : choline, inositol, lécithine, extraits de thyroïde, estrogènes, extraits d’animaux (cerveau ou pancréas) ou de plantes (artichaut, ail), etc. Echec de ces composés.
Le premier médicament qui accéda au marché fut MER/29 (triparanol), produit par Richardson-Merrell Company (qui possédait la marque Vicks VapoRub et qui appartient maintenant à Procter&Gamble). En 1959, on annonça un nouveau médicament qui réduisait significativement le cholestérol et qui était bien toléré cliniquement, avec aucun effet secondaire. Nous remarquons que le discours du marketing pharmaceutique n’a pas évolué d’un iota sur ce plan là et que tous les médicaments retirés du marché après avoir tué ou handicapé des milliers de personnes étaient tous annoncés comme  « bien toléré cliniquement et sans effet secondaire important ».
Il est intéressant de lire la documentation interne de l’entreprise, s’enthousiasmant sur les retombées financières d’un tel monopole (être le seul à avoir un médicament anti-cholestérol) et de voir comment elle imposa sa nouvelle molécule. Elle fit appel aux mêmes scientifiques, aux mêmes individus et institutions qui avaient déjà fait leur preuve dans le lancement du Diuril (anti-hypertenseur de la société MERCK). Certains cardiologues déjà impliqués furent à nouveau sollicités pour participer à la campagne de lancement commençant à Princeton, en décembre 1959 : notons les noms d’Irvine PAGE, John MOYER et Robert WILKINS. Les médias grand public et la presse médicale firent partie de l’ampleur donnée à cet événement commercial.

La FDA (Food and Drug Administration) approuva le MER/29 en juin 1960. Dès 1961, la campagne marketing commençait avec une gamme d’outils variés :
  • Une lettre de prestige, signée du président de Merrell et envoyé à 160 000 docteurs et praticiens,
  • Un classeur envoyé par Western Union à 100 000 docteurs, contenant les données de base de MER/29, avec les actes de la conférence de Princeton,
  • Un dossier publicitaire de 8 pages dans 15 journaux de médecine ou de cardiologie,
  • La répétition mensuelle de cette même publicité, mais sous un format de 2 pages seulement,
  • Des envois postaux, 3 fois par mois, de documents ciblant les 100 000 médecins ayant reçu le classeur et permettant de le remplir,
  • Une conférence nationale visant à éduquer les visiteurs médicaux.
Cette campagne coûta 800 000 dollars, davantage que tous les budgets de tous les autres produits vendus l’année précédente par la compagnie. A la fin de l’année, MER/29 avait atteint 300 000 consommateurs et généré un volume de ventes de 5 millions de dollars.
Mais le MER/29 bloquait la dernière étape de la fabrication du cholestérol. La molécule précurseur, le desmostérol, s’accumulait donc. On le retrouvait en excès dans le cristallin de l’œil, le follicule pileux et la peau, produisant cataractes, pertes de cheveux et ichtyose, une maladie cutanée produisant des sortes d’écailles sur une peau dure.

Il est alors intéressant de noter comment l’industrie réagit à ce genre de nouvelles. En effet, toutes les industries ont toujours réagi comme ça, dans leur grande majorité. Au lieu de reconnaître le problème et d’avertir les consommateurs et les médecins, l’industrie sous-estime le problème et communique e manière rassurante. Dans ce cas là, la visite médicale permet une tromperie du médecin, qui s’inquiète à juste titre, et qui reçoit une réponse stéréotypée issue du marketing, réponse préparée pour gérer la crise. Cette attitude permet aux ventes de perdurer et à l’entreprise d’engranger des millions pour chaque mois qu’elle gagne en dissimulant le scandale sanitaire.

On remarque alors que la FDA a du mal à jouer son rôle de régulateur. Alors que Merrell continuait à inonder les médecins avec sa publicité sur de multiples supports et médias, l’entreprise refusait d’envoyer une lettre d’avertissement aux médecins. Elle ne le fit qu’en décembre 1961. Le médicament fut retiré du marché en 1962.

La fraude et l’industrie pharmaceutique
Ce fut un coup rude pour Merrell, surtout que la FDA refusa l’AMM de son prochain médicament, déjà annoncé comme un blockbuster : l’antiémétique thalidomide. Et comme dans d’autres affaires, les données existaient, mais avaient été soit dissimulées ou non prises en compte. Cela fit à l’entreprise une publicité bien plus négative que le scandale du thalidomide qui suivit. Car Merrell avait dissimulé les effets secondaires du MER/29 et encouragé ses visiteurs médicaux à rejeter la faute sur les autres médicaments pris par les patients.
De plus, un ancien employé de Merrell, Beulah Jordan, apporta aux inspecteurs de la FDA des preuves que le laboratoire avait fabriqué une grande partie des données d’efficacité et de sureté, pour obtenir l’AMM en trompant la FDA. La société fut donc condamnée pour mensonge, fraude et tromperie intentionnelle des agences gouvernementales et des citoyens américains. Notons que la sentence fut une amende et un sursis de 6 mois, au lieu de 5 ans de prison.
Merrell fut donc le premier symbole de la corruption de l’industrie Pharma dans l’esprit du public américain, à cause de 2 scandales successifs : le MER/29 et le thalidomide. Après le procès en pénal, il y eut de multiples procès au civil, aboutissant à un total d’environ 50 millions de dollars de poursuites.
Il est évident que la balance bénéfice/risque du MER/29 ne plaidait pas en sa faveur. Si ce médicament avait immédiatement sauvé des vies, on lui aurait peut-être pardonné cataracte, perte de cheveux ou ichtyose. Mais avec une maladie asymptomatique et une communauté scientifique doutant du rôle du cholestérol dans cette maladie, on ne pardonna pas au MER/29 ce qu’on aurait peut-être accepté pour un traitement anti-cancer ou un antibiotique sauvant d’une épidémie infectieuse. Pour accepter une exposition au long terme, en prévention d’une maladie asymptomatique, il fallait davantage de preuves.

D’autres médicaments échouèrent à s’imposer sur ce marché fructueux : il y eu la néomycine (Upjohn), l’héparine, la niacine (acide nicotinique, vitamine B3), etc. Notons que chaque médicament baissait bien le « méchant cholestérol ».

Un médicament fut mieux toléré : le clofibrate (Atromid-S). Mais l’étude Coronary Drug Project(1975) montra son inefficacité sur la mortalité totale, le critère primaire de l’étude. Notons qu’à cette époque, les scientifiques sérieux utilisaient le critère de mortalité totale comme étant le meilleur test d’un médicament sur la santé globale du patient. Par la suite, le critère primaire devint de moins en moins « solide » et bascula soit vers la mortalité cardiovasculaire (ce qui n’est pas si mal mais insuffisant en terme de santé globale du patient) puis incorpora de plus en plus des critères « subjectifs», comme différentes définitions d’infarctus non mortels (basés sur un critère biochimique moins fiable que le critère ECG) et des décisions médicales comme l’hospitalisation ou la revascularisation.
Pour simplifier, disons qu’un patient veut un médicament qui rallonge sa vie et améliore sa vie. Il n’est pas spécialement d’accord pour échanger un infarctus contre un cancer, une destruction des muscles ou des reins. Les scientifiques qui se focalisent sur la mortalité cardiovasculaire sont « myopes », et ceux qui prennent en compte des critères subjectifs et n’influant pas sur la mortalité prennent le risque de vouloir soigner « la paille dans l’œil », oubliant la poutre.

En France, Michel de Lorgeril et Philippe Even ont mis cette myopie en exergue. Dans le monde, d’autres l’ont fait bien avant eux, sans que la communauté médicale (ou scientifique) réalise son erreur de focalisation. J’irai même jusqu’à dire que l’industrie Pharma a appris de ses échecs et qu’elle a vite compris qu’il fallait soit frauder (truquer les données des essais, qui lui appartiennent et qu’elle ne veut pas communiquer) ou changer le critère principal de manière à écarter la mortalité totale.
Mais le clofibrate, provoquant calculs biliaires et anomalies hépatiques, fut aussi retiré du marché, malgré que le marketing ait clamé son innocuité et sa bonne tolérance juste avant. Reprenons le titre d’un article du New York Times de décembre 1980 : « Miracle' Drug Discredited; Health System Is Faulted; »


On voit bien que les scandales comme le MEDIATOR, le VIOXX ou la cérivastatine ne sont pas nouveaux. Le système sanitaire a failli de nombreuses fois et toujours pour les mêmes raisons.


Ce texte est tiré en partie de la traduction du livre « Prescribing by Numbers  - Drugs and the Definition of Disease», de Jeremy A. GREENE, du département d’Histoire d’Harvard, spécialisé en pharmaco-économie et Pharmaco-épidémiologie. Ce livre a pour sujet l’interaction entre un médicament et la définition d’une maladie dont les limites n’ont pas cessé de changer. C’est donc un texte historique, pour aborder l’histoire commerciale des statines et montrer le lien avec leur histoire scientifique. Cela permet aussi d’identifier les acteurs en présence.