L'excellent livre de John ABRAMSON explique pourquoi les recommandations 2001 sont fausses et les conséquences désastreuses qu'elles ont eu sur la planète.
En 2001, les "experts" du NCEP (National Cholesterol Education Program) ont médiatisé des
recommandations destinées à guider les médecins dans leur lutte contre les
maladies cardiovasculaires (MCV). Ces recommandations ont réussi leur but, en
augmentant le nombre d’Américains sous statines.
Ces recommandations demandent une mesure des lipides (cholestérol
et triglycérides) tous les 5 ans.
Ensuite on identifie les facteurs majeurs de risques :
tabagisme, hypertension, HDL bas (moins de 0,4 g/L), antécédents familiaux de
maladies coronaires et âge avancé (plus de 45 ans pour les hommes et 55 ans
pour les femmes). Pour les personnes avec plusieurs facteurs de risques, la
probabilité de développer une maladie CV dans les 10 ans est alors calculée
avec un « score de risque », développé à partir des résultats de
l’étude Framingham Heart Study.
Si le
risque de développer une MCV dans les 10 ans est 10% ou plus, et que le taux de
LDL reste à 1,3 g/L ou plus* après une période d’exercices et de régime, les
nouvelles recommandations demandent un traitement avec les statines pour
prévenir le risque de MCV.
* Plus de la moitié des Américains (adultes âgés de plus de 35 ans) a un taux de LDL
supérieur ou égal à 1,3 g/L
Ces recommandations causèrent une excitation sans précédent.
Le Dr Claude LENFANT, le directeur du NHLBI (National Heart, Lung and Blood Institute), le NCEP se trouvant sous
les auspices du NHLBI, déclara au New York Times que si les nouvelles
recommandations étaient suivies, les MCV « ne seraient plus le tueur N°1 »
aux USA. Avec un enthousiasme encore plus grand, le Dr Scott M. GRUNDY
déclara : « Les statines sont des médicaments formidables… Alors
que certains disent qu’on ne peut pas mettre autant de personnes sous
médicaments, il faut comparer cela à l’énorme ravage causé par les MCV. »
Les nouvelles recommandations ont été rédigées par un
collège de 14 experts et approuvées par des représentants de 22 sociétés
médicales, incluant l’American College of
Cardiology et l’American Medical
Association. Les recommandations font des conseils spécifiques pour les
hommes, les femmes et les personnes de plus de 65 ans qui n’ont jamais eu de
MCV (prévention primaire) et pour celles qui en ont déjà eu (prévention secondaire).
Un résumé de 11 pages du rapport complet fut publié le 26 mai 2001, dans le
JAMA (Journal of American Medical
Association). La quasi-totalité des cardiologues et des médecins sont
familiers avec ses recommandations. Mais peu d’entre eux ont lu le rapport
rébarbatif de 284 pages du collège d’experts du NCEP, disponible sur internet.
La plupart des médecins se sont probablement dit que cela n’était pas
nécessaire. Le résumé assure à ses lecteurs que tout le document « basé sur les preuves et fourni
un argumentaire scientifique pour les recommandations contenues dans le
résumé ».
Les recommandations mises à jour s’appuient fortement sur 5
grands essais cliniques de la prévention des MCV qui sont disponibles depuis la
version précédente de 1993. Le résumé publié dans le JAMA est clair à propos de
l’approche principale pour la prévention des MCV : après une brève
discussion sur les changements apportés dans les nouvelles recommandations et
sur les nouvelles méthodes de calcul du risque individuel, la plus grande
partie des recommandations
vise le LDL comme « la première cible de la
thérapie ». Largement
à cause de
ces recommandations,
le contrôle du cholestérol est devenu la préoccupation
principale de la prévention aux USA.
Les médecins ne sont pas obligés de suivre les
recommandations à la lettre mais la plupart le font pour plusieurs
raisons : ils veulent pratiquer la meilleure médecine possible, ils
veulent que leur décision médicale soit en accord avec les standards de la
communauté et ils savent que s’ils ne suivent pas les recommandations, ils ont
un plus grand risque d’être poursuivi si quelque chose tournait mal. Pour ces
raisons, ainsi qu’avec l’énorme publicité qui entoure cette notion de
cholestérol, le guide mis à jour joue un rôle plus grand qu’aucune
recommandation ne l’avait fait auparavant dans la façon dont les médecins et
les patients vont considérer ce qui est prioritaire pour la santé.
Mais une analyse attentive du rapport complet du NCEP, ainsi
que des essais cliniques qui appuient ses recommandations, révèle une image
bien différente de ce qui est présenté dans le résumé. Plutôt que de présenter
une interprétation équilibrée des résultats scientifiques, l’intention du rapport
semble être de permettre une plus grande utilisation des statines et présente
même de manière inexacte certaines données de l’article originel*. Et plutôt
que de promouvoir une approche équilibrée dans la prévention des maladies CV et
de la santé en général, les recommandations semblent vouloir focaliser l’attention
des médecins sur la baisse du LDL.
* Le rapport complet indique de manière erronée que la
réduction de la mortalité toutes causes dans l’étude WOSCOPS a atteint la
significativité statistique (table II.7-1, page II-31). De même, la réduction
de la mortalité cardiaque dans l’étude CARE est rapportée comme significative
(table II.8-2, page II-39) alors qu’elle ne l’est pas.
La piste du
cholestérol
Le lien entre un cholestérol élevé et un risque accru de MCV
fut identifié initialement par des chercheurs de la
Framingham Heart Study.
Commencée en 1948, cette étude enrôla 5000 résidents de Framingham,
Massuchusetts, avec le but d’identifier les facteurs qui contribuent aux MC. En
1957, l’étude rapporta qu’un haut cholestérol est associé aux risques de MC. Les
effets différents du HDL et du LDL furent décrits en 1977.
Le cholestérol est
une substance cireuse, à caractère lipophile et qui est présente dans le sang
au sein de transporteurs. La différence entre
le « bon » transporteur HDL et
le « mauvais » transporteur LDL est due à des protéines
différentes. Il n’y a qu’un seule formule de cholestérol sur Terre.
Voir
mon article sur le cholestérol, pour l'association FORMINDEP.
Selon la théorie actuelle, la maladie coronaire se développe
lorsqu’une ou plusieurs artères qui alimentent le cœur se bouchent, privant les
cellules musculaires de l’oxygène et des nutriments nécessaires à son
fonctionnement. Le processus commencerait lorsque le transporteur LDL circulant
dans le sang franchit la paroi d’une artère coronaire (ce qui est impossible
sans une dysfonction endothéliale). Cela déclenche alors une réaction
inflammatoire qui rassemble des globules blancs et d’autres matériaux (fibrine,
collagène, calcium, cellules musculaires lisses) à l’intérieur de la paroi vasculaire,
ce qui forme une plaque d’athérosclérose.
Le transporteur HDL, d’autre part, semble expulser le
cholestérol en excès dans les cellules artérielles, comme un éboueur, pour le
transporter vers le foie. Mais il a de
nombreuses autres fonctions, bien plus importantes.
La
construction de plaques dans la paroi artérielle est un
processus lent, qui prend des années. Habituellement, il n’y a pas de symptômes
jusqu’à ce que le diamètre interne d’une artère coronaire se rétrécisse
(sténose) d’au moins 60%. Alors, comme un tuyau d’arrosage sur lequel on
marche, la capacité de l’artère partiellement bloquée a apporté du sang au cœur
est compromise. Quand l’apport sanguin à une partie du cœur est inadéquate pour
répondre à la demande métabolique (pendant un exercice ou une émotion intense,
par exemple), les patients sentent une crampe, comme une douleur compressive
dans le côté gauche de la poitrine, appelée angine (ou angor). Quand l’artère
coronaire est complètement bloquée (par la plaque ou un caillot) et qu’il n’y a
plus de sang apporté à un territoire cardiaque, les cellules musculaires
meurent. C’est ce qu’on appelle une attaque cardiaque (ou infarctus du
myocarde ou Syndrome Coronaire Aigu).
Cependant, la plupart des infarctus ne sont pas déclenchés
par un accroissement progressif d’une plaque d’athérome. Le
scénario le plus fréquent est qu’une petite partie de la plaque, pour des raisons mal définies,
se fracture ou s’érode en surface. Cela cause l’adhésion des
plaquettes
sanguines et la formation d’un
caillot sanguin (thrombus), au niveau de la
plaque. Sans avertissement, la formation d’un thrombus peut rapidement et
complètement obstruer le flot sanguin à travers l’artère coronaire, causant une
attaque cardiaque.
(L’aspirine diminue le risque d’attaque cardiaque en
abaissant la réactivité plaquettaire, ce qui rend moins probable la formation
d’un tel caillot).
Abaisser le cholestérol total et LDL par la médication, nous
dit la théorie, diminue le risque de maladie cardiaque en diminuant la
formation de plaques d’athérosclérose. Pendant les années 60 à 80, la classe de
médicaments appelés « fibrates » fut utilisée pour baisser le
cholestérol (bien que personne ne connaissait leur mécanisme d’action) et
abaisser le risque d’attaque cardiaque. Mais après plusieurs années
d’utilisation, comme l’a montré une étude réalisée par l’OMS (Organisation
Mondiale de la Santé), le clofibrate augmentait le risque de mortalité totale
de 47%. (La moitié de cet excès de mortalité était attribué aux cancers). De
même, une étude faite par l’Institut National de Santé Publique de l’université
d’Helsinki (Finlande) montra que la mortalité parmi les gens prenant un autre
fibrate (le gemfibrozil) pendant 8,5 ans était augmentée de 21% par rapport au
groupe placebo.
L’ère actuelle de traitement visant à baisser le LDL commença en 1987, avec l’introduction des premières statines. La plupart du
cholestérol dans notre
corps ne vient
pas de notre alimentation mais est fabriquée par le foie (70 à 80% environ). Les
statines sont utilisées pour leur inhibition de la première étape dans la
synthèse des différentes molécules intermédiaires menant au cholestérol. Cela
diminue effectivement la quantité de cholestérol total et de LDL circulant dans
le sang. La première statine fut la
lovastatine (disponible en tant que
générique, elle coûte beaucoup moins cher que les statines récentes et de
marque). Les meilleures ventes de statines en 2003 furent l’
atorvastatine
(Lipitor aux USA,
TAHOR° en France), la
pravastatine (Pravachol aux USA) et la simvastatine
(Zocor). La dernière statine (
rosuvastatine) entra sur le marché américain en
août 2003.
Pourquoi s’intéresser
autant au cholestérol ?
Il est important de garder à l’esprit que le cholestérol
n’est pas en soi un risque pour la santé. En fait, le cholestérol est vital
pour de nombreuses fonctions essentielles. Par exemple, le cholestérol est
l’une des molécules organique les plus communes dans le cerveau, au niveau des
synapses. (Cela pourrait offrir une piste pouvant expliquer pourquoi les
statines ont un effet négatif, faible
mais significatif, sur les fonctions cognitives).
C’est aussi un précurseur
essentiel de certaines hormones (stéroïdes, minéralocorticoïdes et glucocorticoïdes),
comme les hormones de stress, les hormones régulant la glycémie ou l’équilibre
hydrique et les hormones sexuelles.
(Une étude française qui a observé» les problèmes
sexuels associés avec une thérapie abaissant le cholestérol a trouvé que les
statines augmentent les dysfonctions sexuelles d’environ 50% chez les hommes *
alors que d’autres études n’ont rien trouvé).
Le cholestérol est aussi
nécessaire pour la transmission de signaux d’une cellule nerveuse à une autre
(synapse) et est un composant vital de chacune de nos membranes cellulaires.
* Bruckert
E, Giral P, Heshmati HM, Turpin G. Men treated with hypolipidaemic drugs
complain more frequently of erectile dysfunction. J Clin Pharm Ther. 1996
Apr;21(2):89-94. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8809645
Le rôle essentiel que joue le cholestérol est vite oublié
quand on lit les recommandations pour la gestion du cholestérol et lorsqu’on
est pris dans la frénésie de l’abaissement du cholestérol. Le but réel du soin
médical est, après tout, d’améliorer la santé globale, c'est-à-dire de diminuer
le risque de maladie cardiaque, de toutes maladies sérieuses et de mort
prématurée quelqu’en soit la cause, et non pas simplement d’abaisser le niveau
de LDL sanguin (qui est un critère de substitution).
Alors que la majeure partie de ce que l’on sait à propos de
la relation entre cholestérol et MC vient de l’étude de Framingham (la mère de
toutes les études sur le cholestérol), certaines de ses conclusions pourraient
bien être surprenantes, surtout pour les médecins.
Un article publié dans les
Archives of Internal Medicine en 1993 et analysant les données de Framingham a
montré qu’un niveau élevé de cholestérol total était associé significativement
avec un risque accru de MC seulement jusqu’à l’âge de 60 ans. Cette corrélation
ne se retrouve pas après un âge de 70 ans. Encore plus important, l’article
montrait qu’un taux élevé de cholestérol total est associé à une augmentation
de la mortalité toutes causes jusqu’à 47 ans, et pas après.
Et un autre résultat alarmant de cette étude
est que le risque de mortalité autre que cardiaque augmente significativement
avec un taux de cholestérol plus bas pour les hommes et les femmes qui ont atteint l’âge de 50 ans.
(Les auteurs ont
rejeté cette découverte par l’explication qu’un cholestérol bas se trouve chez
des patients atteints d’une maladie non diagnostiquée. C’est ce qu’on appelle
une explication « post hoc » et cela n’a aucune valeur
scientifique autre qu’hypothétique. On ne
ne peut pas réfuter des données réelles sur la base biaisée d’a priori et
d’explications venant après l’étude).
D’autres données venant de Framingham et
publiée en 1999 montre que l’activité physique, contrairement à la
cholestérolémie, est fortement corrélée avec la mortalité toutes causes :
les personnes (hommes et femmes) du tiers le plus actif avaient 40% de
réduction de mortalité comparés au tiers le moins actif.
Alors pourquoi l’attention collective est focalisée
étroitement sur le LDL comme étant la stratégie de prévention la plus
importante alors que les preuves montrent que cela joue un rôle relativement
limité dans notre santé globale ?
Une partie de la réponse vient de
l’implication intellectuelle des "experts" dans la contribution du cholestérol
aux MC, ces experts ayant dédié leur carrière à la compréhension de cette
relation. Une autre part de la réponse peut venir des liens d’intérêt : 8
des 14 experts qui ont écrit les recommandations avaient des relations
financières avec l’industrie pharmaceutique ou les fabricants de statines.
* ATP III
Update 2004: Financial Disclosure
Dr. Grundy has received honoraria
from Merck, Pfizer, Sankyo, Bayer, Merck/Schering-Plough, Kos, Abbott,
Bristol-Myers Squibb, and AstraZeneca; he has received research grants from
Merck, Abbott, and Glaxo Smith Kline.
Dt. Bairey Merz has received lecture
honoraria from Pfizer, Merck, and Kos; she has served as a consultant for
Pfizer, Bayer, and EHC (Merck); she has received unrestricted institutional
grants for Continuing Medical Education from Pfizer, Procter & Gamble,
Novartis, Wyeth, AstraZeneca, and Bristol-Myers Squibb Medical Imaging; she has
received a research grant from Merck; she has stock in Boston Scientific, IVAX,
Eli Lilly, Medtronic, Johnson & Johnson, SCIPIE Insurance, ATS Medical, and
Biosite.
Du. Brewer has received honoraria
from AstraZeneca, Pfizer, Lipid Sciences, Merck, Merck/Schering-Plough,
Fournier, Tularik, Esperion, and Novartis; he has served as a consultant for
AstraZeneca, Pfizer, Lipid Sciences, Merck, Merck/Schering-Plough, Fournier,
Tularik, Sankyo, and Novartis.
Dv. Clark has received honoraria for
educational presentations from Abbott, AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb,
Merck, and Pfizer; he has received grant/research support from Abbott,
AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Merck, and Pfizer.
Dw. Hunninghake has received
honoraria for consulting and speakers bureau from AstraZeneca, Merck, Merck/Schering-Plough,
and Pfizer, and for consulting from Kos; he has received research grants from
AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Kos, Merck, Merck/Schering-Plough,
Novartis, and Pfizer.
Dx. Pasternak has served as a
speaker for Pfizer, Merck, Merck/Schering-Plough, Takeda, Kos, BMS-Sanofi, and Novartis;
he has served as a consultant for Merck, Merck/Schering-Plough, Sanofi, Pfizer Health
Solutions, Johnson & Johnson-Merck, and AstraZeneca.
Dy. Smith has received institutional
research support from Merck; he has stock in Medtronic and Johnson &
Johnson.
Dz. Stone has received honoraria for
educational lectures from Abbott, AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Kos,
Merck, Merck/Schering-Plough, Novartis, Pfizer, Reliant, and Sankyo; he has
served as a consultant for Abbott, Merck, Merck/Schering-Plough, Pfizer, and
Reliant.
Et curieusement, alors que les recommandations proposent de
réduire l’apport en graisses saturées et en cholestérol, les mots “œufs”,
“bœuf” ou “produits laitiers” n’apparaissent nul part dans le résumé, alors que
la réduction des graisses animales fait partie intégrante des modifications
thérapeutique de style de vie suggérées dans les recommandations. Selon le CSPI
(Center for Science in the Public Interest), plusieurs des auteurs et des
relecteurs experts du rapport avaient, ou ont eu, des liens financiers avec les
organisations suivantes : American Egg Board (lobby des œufs), National
Cattlemen’s Association (lobby des bovins) et National Diairy Promotion and
Research Board (lobby des produits laitiers). Au contraire, l’accroissement de
l’apport en fibres est mentionné 5 fois dans le rapport. Certains des
relecteurs et l’un des auteurs ont réalisé des recherches financées par Procter
and Gamble, un fabricant du Metamucil (poudre faite à partir de fibres
végétales de psyllium).
L’industrie pharmaceutique a beaucoup à gagner de
recommandations qui sont orientées vers la consommation de médicaments. Si ces
recommandations sont suivies, les ventes de statines peuvent s’accroitre d’au
moins 20 à 30 milliards par an, sans compter le prix des consultations et des
tests sanguins. Bien sûr, un lien financier ne signifie pas nécessairement que
le rapport est biaisé par l’influence de l’industrie. Une comparaison des
données et des recommandations présentées dans le rapport avec les meilleures
données disponibles sera davantage parlante.
Prévention primaire
chez les hommes de moins de 65 ans
Deux des 5 études majeures présentées dans les
recommandations ont testé l’efficacité des statines dans la prévention primaire
des MC. L’une était l’étude
WoSCoP (West of Scotland Coronary Prevention), publiée dans le New
England Journal of Medicine en 1995. L’ouest de l’écosse a l’un des plus hauts taux de mortalité
cardiaque au monde et les 6600 hommes inclus dans l’étude était
particulièrement à haut risque : leur LDL était à 1,92 g/L, 44% d’entre eux
fumaient et bien que les hommes avec une histoire d’attaque cardiaque étaient
exclus de l’étude, environ 20% avaient des symptômes d’artères bloquées, comme
une angine ou une douleur à la jambe lors d’un effort (20% étaient donc en prévention secondaire).
Les hommes furent
assignés aléatoirement pour recevoir de la pravastatine (40 mg par jour) ou un
placebo. Après environ 5 ans, les hommes prenant la pravastatine
avaient 31% d’attaques cardiaques en moins (significatif) et 22% de mortalité
en moins (Non Significatif) que le groupe placebo.
Plus parlant que ces grands
chiffres de réduction relative du risque, prenons le nombre d’événements
cardiaques (attaques cardiaques non fatales ou morts cardiaques) évités dans
cette population (population sélectionnée pour montrer le médicament sous son jour le plus
favorable). On obtient alors un chiffre moins impressionnant : 100 hommes
de cette étude doivent prendre la pravastatine pendant 2 ans pour prévenir une
seule attaque cardiaque. *
* Les hommes prenant la pravastatine ont eu 1,1 attaque
cardiaque par an, alors que les hommes du groupe placebo en ont eu 1,6. La
réduction absolue est donc de 0,5 par an. La réduction relative est de 31%.
(0,5 divisé par 1,6).
Le coût pour traiter 100 personnes pendant 2 ans
(pravastatine, 40 mg par jour) était de 336 000 dollars (aux USA, en 2001)
juste pour le médicament. Pour prévenir une mort cardiaque, 100 hommes de
l’étude WOSCOP auraient du prendre la pravastatine pendant 5 ans et demi.
Bien sûr, pour sa pratique, un médecin voudrait protéger ses
patients à haut risque d’une attaque cardiaque et pourrait recommander de
prendre une statine. En même temps, il est important de se rappeler que même
parmi les patients à haut risque (hommes écossais, fumeurs, d’âge moyen), 99
patients pour 100 prendraient la pravastatine sans éviter un seul événement
cardiaque, statistiquement. Le problème est que le médecin ne sait pas à
l’avance qui sera cet homme sur 100, la protection apportée par la statine
étant importante pour lui seul.
Et il faut également se rappeler que les patients d’un
médecin ne sont pas triés sur le volet comme lors d’une étude, qu’ils ne sont
pas écossais, fumeurs, et que parfois ce ne sont pas des hommes. Le bénéfice
réel pour un patient réel est donc moindre, comparé aux chiffres
« miraculeux » apportés par les essais cliniques sponsorisés par les
laboratoires pharmaceutiques.
Voilà pourquoi il faut lire les essais cliniques avec un esprit critique.
Contrastant avec les hommes à haut risque de l’étude
WOSCOPS, une autre étude a inclus des personnes avec un risque modérément élevé
de développer une maladie cardiaque. Il s’agit de l'étude AFCAPS/TexCAPS (pour
Air Force / Texas Coronary Atherosclerosis Prevention Study). Les chercheurs ont
recruté 6600 personnes d’âge moyen (ou plus âgé) en bonne santé mais avec un LDL
un peu élevé (1,5 g/L) et un HDL en dessous de la moyenne (0,36 g/L pour les
hommes et 0,4 g/L pour les femmes). Ils ont été réparti entre le groupe
lovastatine et le groupe placebo pour 5 ans. L’étude a alors comparé la
fréquence de plusieurs événements dans les 2 groupes : prévalence de
maladie coronaire, n’importe quelle maladie sérieuse, mortalité cardiaque et
mortalité toutes causes. Le rapport résume les résultats « AFCAPS/TexCAPS
est important car il montre que la baisse du cholestérol chez des personnes
avec un LDL limite produit une grande réduction du risque relatif »
(paragraphe g, page II-32).
Si l’on veut… Le rapport oublie de spécifier le risque
relatif concerné par cette réduction. Le risque relatif de développer une
maladie coronaire était significativement plus bas (de 37%) parmi ceux prenant
la statine, comparé au groupe placebo. Mais le rapport oublie de rapporter une
importante mesure de l’impact du traitement avec une statine, un résultat
publié dans l’article original de JAMA en 1998. Le risque de développer
n’importe quelle maladie sérieuse (causant hospitalisation ou mort) était
IDENTIQUE dans le groupe lovastatine ou le groupe placebo.
Autre « erreur » : le rapport indique que "les
effets de la statine sur la mortalité totale n’étaient pas concluants". Pas
vraiment. On peut tirer une conclusion définitive : dans cette étude de 5
ans impliquant 6600 personnes avec un taux modéré de LDL, le traitement avec la
statine n’a pas diminué la mortalité totale.
Le rapport dissimule donc la vérité objective.
En fait, un peu plus de personnes sous statine sont mortes
(80) que celles sous placebo (77), et la mortalité non cardiaque fut de 52
(placebo) contre 63 (statines). Même si un résultat n’est pas significatif, il
ne faut jamais glisser sous le tapis les statistiques réelles de la mortalité,
une donnée objective et infalsifiable, quelque soient les biais, les a priori
et les intérêts financiers en jeu. En n’oubliant pas qu’une étude sélectionne
les personnes de manière à favoriser l’impact du médicament et à diminuer les
effets secondaires, un tel résultat ne doit pas être caché par sa non-significativité
statistique.
Hors essai, une telle tendance peut mettre en péril des milliers de vies humaines.
Oublions pour le moment le fait que la lovastatine n’a pas
eu d’effet statistique sur la mortalité totale. La « grande réduction du
risque relatif » cité dans le rapport se traduit en chiffres beaucoup
moins impressionnant en réduction du risque absolu. Cent personnes de cette
étude doivent être traitées pendant 2 ans et demi pour prévenir un seul
événement cardiovasculaire (en supposant que les 99 autres ne retirent aucun
effet secondaire néfaste pendant cette période).
Pour prévenir une seule mort
cardiovasculaire, 100 personnes de cette étude devraient être traitées pendant
25 ans. La mortalité cardiaque dans AFCAPS/TexCAPS était de 1,4 pour 1000 par
an dans le groupe placebo, comparé avec un taux de 1 pour 1000 dans le groupe
statine, soit une réduction de 0,4 pour 1000 ou bien 0,04 pour 100, avec la population
sélectionnée de cette étude.
Dans la population réelle, le bénéfice serait
encore moindre et le nombre de personnes à traiter bien plus grand. Voilà un indice de plus de l'inefficacité des statines.
Les recommandations mises à jour en 2001 s’appuyèrent
grandement sur l’étude AFCAPS/TexCAPS pour développer la stratégie de calcul du
risque en 2 étapes que les médecins utilisent maintenant pour déterminer quels
patients devraient prendre des statines. Un coup d’œil à la façon dont les
critères s’appliquent actuellement aux hommes de cette étude révèle un résultat
paradoxal : 85% de ces hommes sont dans la catégorie de risques pour laquelle le
rapport dit que « L’utilisation de médicaments abaissant le LDL à ce
niveau de risque réduirait le risque de maladies cardiaques et serait efficace au
niveau du coût » (page 2489 du résumé).
Oubliant le manque de bénéfices pour la santé globale de
ceux recevant la statine dans AFCAPS/TexCAPS, le résumé se contredit lui-même
en concluant que « le coût supplémentaire par année de vie gagné serait de
plus de 100 000$ pour la cohorte AFCAPS/TexCAPS » (page II-59) et que
c’est trop cher pour justifier un traitement par statine. Entre d’autres
termes, si on fait le calcul, le rapport recommande des statines pour tout ceux
qui ont un profil similaire à 85% des
hommes de la cohorte AFCAPS/TexCAPS.
Mais le rapport dit alors que le coût
serait prohibitif. Et sans tenir compte de cette contradiction, c’est un
non-sens de se demander combien une année de vie gagné dans cette étude
coûterait, puisque la mortalité totale n’était pas abaissée (et était même
avec une tendance, non significative mais réelle, à la hausse, puisque 80
personnes sont mortes sous statine au lieu de 77 sous placebo). Où sont les
bénéficiaires dont parle le rapport ? Pourquoi autant de contradictions ?
Ces 2 études montrent que les hommes des cohortes
sélectionnées (venant d’un pays à forte mortalité cardiaque, fumeurs et d’âge
moyen), qui n’ont pas de maladies cardiaques mais qui ont un LDL élevé pourrait
tirer un petit bénéfice de la prise d’une statine, mais pas autant que l’appellation
« médicaments miraculeux » laissait entendre. Le cas
de la prescription des statines chez des hommes avec seulement une élévation modérée de la
cholestérolémie est donc beaucoup moins convaincant. Il est temps d'abandonner le dogme et de regarder la réalité en face.
La prévention
primaire pour des femmes de moins de 65 ans
Les recommandations 2001 sont claires : « Dans les
essais cliniques, les statines réduisent le risque de maladies cardiaques chez
les femmes, avec ou sans maladie cardiaque."
Le rapport complet du NCEP cite 7
références pour appuyer cette affirmation (table II.2-3). Le résumé du rapport
dit que les femmes doivent être traitées comme des hommes. (Page 2494).
Les études citées sont : 4S, CARE, AFCAPS, LIPID, POSCH,
PLAC1, CCAIT
- 4S (1994) : 19% de femmes (827 femmes) avec angor ou
histoire d’infarctus aigu (prévention secondaire), 17 morts cardiaques = 2,05%
(placebo) contre 13 morts cardiaques = 1,57% (statine) soit une réduction de
0,48% en 6 ans (page 1386 de l’étude 4S, publiée en 1994 dans The Lancet)
- CARE (1996) : 14% de femmes, en prévention secondaire,
étude qui ne donne pas de détails spécifiques pour la population féminine (données cachées)
- AFCAPS (1998) : 15% de femmes, mortalité
inchangée ; il y a eu 20 événements cardiaques majeurs dans l’étude :
7 sous statines et 13 sous placebo, ce qui est non significatif vu le peu de
puissance statistique dû au faible nombre d’événements). Seule étude en
prévention primaire.
- LIPID (1998) : 17% de femmes, prévention secondaire
- POSCH (91% d’hommes, post-infarctus),
- PLAC1 (étude
angiographique, prévention secondaire),
- CCAIT (62 femmes, étude angiographique
de 16 semaines)
Aucune des références citées ne donnent de preuves
significatives appuyant l’affirmation que l’utilisation des statines réduit le
risque de MC chez les femmes sans MC existante (c’est à dire en prévention
primaire).
Notons qu’un article de 2003 concluait que les statines ne
bénéficient pas aux femmes (analyse de 10990 femmes, soit 28% des essais en
prévention primaire)( “Do Statins have a Role in Primary Prevention?”
Therapeutics Letter Issue 48 / Apr -Jun 2003)
Une “review”
spécifiquement dédiée aux femmes est parue en 2004 (Judith M. E. Walsh, MD,MPH; Michael Pignone, MD, MPH, « Drug Treatment of Hyperlipidemia inWomen », Scientific Review and Clinical Applications; May 12, 2004).
Sa conclusion est paradoxale : la mortalité totale en prévention
primaire serait un peu abaissée, RR o.95 (0,62 – 1,46) mais pas la mortalité totale
en prévention secondaire, ni la mortalité cardiaque 1,07 (0,47 - 2,40) (page
2247 de l’article)
Pour le rapport 2001, il est difficile de croire que les
seules preuves provenant d’essais cliniques randomisés qui concernent la
prévention secondaire consistent en 20 épisodes de maladies cardiaques de
l’étude AFCAPS. Cela parait extrêmement léger pour mettre des millions de femmes
sous statines. Le rapport ne cache pas vraiment que cette recommandation est
basée sur une extrapolation des résultats des hommes, appliqués aux femmes
(page 2494 du résumé). Une telle extrapolation dans un rapport officiel est un
travestissement de la médecine basée sur les preuves (« evidence-based
medicine » ou EBM).
Quand la femme sera-t-elle un être à part entière en cardiologie ?
Prévention primaire
pour les personnes âgées de plus de 65 ans
Le rapport 2001 est enthousiaste sur les perspectives de
réduire les MC chez les personnes âgées (de 65 ans et plus) qui n’ont pas encore
développé de MC. Pour ce groupe spécifique, le rapport complet déclare que les
essais cliniques ont montré l’efficacité d’un traitement aux statines pour
réduire les maladies cardiaques (voir table II.2-3).
Ce tableau cite 9
références pour appuyer cette affirmation :
En examinant chaque référence, on retrouve la même chose que
pour les femmes : seule l’étude AFCAPS concerne la prévention primaire
chez les personnes âgées, et même dans cette étude seulement 21% des personnes
incluses avaient atteint l’âge de 65 ans, et la réduction du risque de maladie
cardiaque n’était pas significative (différence de 0,3 pour 1000 par an – Table
3 – Efficacy End Points).
Parmi les autres études, 6 sont des études de prévention
secondaire et 2 sont de "prévention primaire", dont une qui n’inclue pas des
patients âgés de plus de 64 ans et l’autre qui date de 1978, avant que les
statines n’existent, et qui inclue des patients dont l’âge moyen est 51 ans.
Ce rapport n’avait donc aucune étude pour appuyer ses dires sur les meilleures
preuves scientifiques disponibles en 2001. Ce rapport a trompé tout le monde.
Les recommandations utilisaient aussi sur des études
épidémiologiques en citant des phrases de manière ambigüe : «La relation
entre cholestérolémie et risque de MC au cours de la vie a été évalué dans
l’étude Framingham. » Et plus loin : « Même l’âge de 70 ans
atteint, le risque de développer une MC reste élevé. » Mettre ces 2 phrase
en juxtaposition montre que le texte essais d’entraîner le lecteur vers de
mauvaises conclusions.
Bien sûr que le risque de développer une MC est élevé après
l’âge de 70 ans. Finalement, le cœur finit par lâcher même chez des personnes
assez chanceuses pour avoir atteint cet âge vénérable et en bonne santé par
ailleurs. Et il est vrai que l’étude Framingham examina la relation entre une
cholestérolémie élevée et le risque de MC à différents âges. Mais les données
montrent exactement l’inverse de ce que le rapport sous-entend : la
cholestérolémie n’est pas associée à la mortalité cardiaque après l’âge de 60
ans.
A ce propos, les auteurs de l’article basé sur les données de Framingham
avertissent : « Les médecins doivent bien réfléchir avant de
commencer un traitement anti-cholestérol chez les hommes et les femmes de plus
de 65 ans. Seuls des essais cliniques randomisés chez des personnes âgées
pourrait conclure sur l’efficacité et le coût d’une intervention destinée à
abaisser les lipides pour réduire la morbi-mortalité dans cette
sous-population.»
Au moment du rapport 2001, de telles études n’existaient
pas. Au contraire, une étude* publiée dans les
Archives of Internal Medicine en1999 et référencée dans le rapport montrait que « Aucun paramètre
lipidique (CT, HDLc, LDLc ou TG) n’est associé avec le risque d’infarctus du
myocarde dans cette population âgée de 65 ans et plus. » En d’autres mots,
il n’y a pas d’augmentation du risque de maladie cardiaque associé avec un
cholestérol élevé une fois que l’âge de 65 ans est atteint.
* Bruce M. Psaty, MD, PhD; Curt D. Furberg, MD,
PhD; Lewis H. Kuller, MD, DrPH; Diane E. Bild, MD, MPH; Pentti M. Rautaharju,
MD, PhD; Joseph F. Polak, MD, MPH; Edwin Bovill, MD; John S. Gottdiener,
MD ; « Traditional Risk Factors and Subclinical Disease Measures as
Predictors of First Myocardial Infarction in Older Adults -The Cardiovascular
Health Study”; Arch Intern Med. 1999;159(12):1339-1347
Le rapport se base sur 2 éléments pour affirmer que les
statines apparaissent comme efficaces dans la prévention primaire chez les
personnes de 65 ans et plus.
- Le premier est que les statines réduisent le
risque de MC chez les personnes âgées « d’approximativement un
tiers ».
Le problème est qu’il ne cite
aucune étude pouvant étayer cette
affirmation fantaisiste. L’EBM en prend encore un coup.
- La deuxième affirmation est que les personnes âgées, le
risque de MC augmente avec les niveaux de cholestérol élevés. Sauf que
l’article cité * dans le rapport n’examine pas cette relation.
* Donald M. Lloyd-Jones, MD, ScM; Peter W. F.
Wilson, MD; Martin G. Larson, ScD; Eric Leip, MS; Alexa Beiser, PhD; Ralph B.
D'Agostino, PhD; James I. Cleeman, MD; Daniel Levy, MD ;”Lifetime Risk of
Coronary Heart Disease by Cholesterol Levels at Selected Ages” ; Arch Intern
Med. 2003;163(16):1966-1972. http://archinte.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=215943
En 2002 l’étude PROSPER fut publiée et montra l’impact des
statines dans une population âgée. On put alors constater alors à quel point
les estimations du rapport étaient démesurées et non basées sur la meilleure
science disponible.
Prévention secondaire
chez les hommes
Clairement, la population avec le plus grand risque
d’attaque cardiaque est celle qui a déjà eu une MC. C’est la situation dans
laquelle les statines devraient être les plus efficaces (en prévention
secondaire). Les résultats de 3 grands essais randomisés étaient inclus dans
les recommandations 2001 : l’étude 4S (simvastatine), et les études sur la
pravastatine : CARE et LIPID. Les différences entre ces études reposent
sur les niveaux moyens de LDL des personnes inclues.
Dans les
études 4S et
LIPID, les niveaux de LDL étaient de 1,88 g/L et 1,5 g/L respectivement.
Notons que l’étude 4S est unique à ce jour. C’est l’une des plus anciennes et c’est
la seule qui a eu des résultats aussi "miraculeux", qu’on ne retrouva jamais par
la suite dans aucune autre étude. Comme le souligne le rapport de l’HAS de 2010,
plus une étude est ancienne, plus ses résultats sont en faveur du médicament
(RR élevée) et moins l’étude est fiable. Les essais publiés avant 1995 ont le
plus fiable niveau de preuve.
(
Page 64du rapport « Efficacité et efficience des hypolipémiants : une analysecentrée sur les statines »)
Dans ces 2 études, le traitement par statines réduisit le
risque de récidive d’attaque cardiaque, le risque de mortalité cardiaque (4S de
3,2% et LIPID de 1,9%) et la mortalité toutes causes (4S de 3,3% et LIPID de 3,1%).
Dans l’étude CARE,
le LDL moyen était de 1,39 g/L (assez proche 1,4 g/L, la moyenne chez les
personnes développant une MC). Les résultats ne furent pas aussi
impressionnants : il y eut une réduction significative du risque de crise
cardiaque (diminution de 3% du risque avec le critère combiné) mais pas de
réduction significative de la mortalité cardiaque ou de la mortalité totale.
Combien faut-il traiter de patients par an pour obtenir ces
résultats ?
Dans les études LIPID et CARE, la réduction du critère combiné
fut de 0,6% par an. Cela signifie qu’il faut traiter 166 personnes pour
prévenir un seul événement cardiaque dans la population des ces études.
Mais un
patient réel, hors sélection drastique de ces essais cliniques, trouvera un
bénéfice encore moindre à prendre une statine. La réalité des chiffres est loin
de l’emballage médiatique omniprésent.
Prévention secondaire
chez les femmes
Le rapport 2001 se réfère à 3 études majeures en prévention
secondaire pour soutenir l’affirmation que les statines réduisent le risque de
récidive cardiaque chez les femmes.
L’étude 4S montre
que le risque de récidive est abaissé mais pas le risque de mortalité
cardiaque. De plus, la mortalité toutes causes était en réalité 12% PLUS GRANDE
chez les femmes sous statines comparées aux femmes du groupe placebo (valeur
non significative mais à ne pas glisser sous le tapis quand il s’agit d’une
valeur objective et non manipulable).
L’étude CARE
montra également que les statines réduisent le risque de récidive cardiaque mais
PAS le risque de mortalité cardiaque chez les femmes, ni le risque de mortalité
toutes causes.
L’étude LIPID
échoua à montrer une réduction dans le risque de récidive et ne présenta aucune
données de mortalité chez les femmes. On peut conclure que, dans un contexte de
médiatisation exacerbée, ne pas montrer de données signifie que ces données ne
sont pas favorables à la l’hypothèse des chercheurs ou au sponsor.
On peut donc conclure qu’on a des médicaments, décrits comme
« miraculeux », mais qui ne sauvent pas de vies chez les femmes.
Les recommandations
sont testées (et échouent misérablement)
Il aurait été intéressant de tester les recommandations 2001
contre les anciens standards de soin pour voir quel serait le bénéfice
d’augmenter le nombre d’Américains prenant des statines. Bien sûr, cela ne
serait pas pratique, car cela aurait demandé un nouvel essai clinique, long et
coûteux. Et cela n’aurait pas été éthique de ne pas traiter des patients avec les meilleurs soins disponibles (même si c'est ce que font la plupart des essais commerciaux contre placebo...)
Mais par une coïncidence remarquable, les résultats d’une
telle étude furent publiés dans le JAMA environ un an et demi après les
recommandations 2001. L’étude ALLHAT a été conçue dans les années 1990 d’une
manière qui se trouva fortuitement être un bon test des recommandations 2001.
Débutée en 1994, l’étude
ALLHAT enrôla plus de 10000 patients à haut risque CV. Selon les
recommandations 2001, 90% des hommes et 75% des femmes de cette étude auraient
été qualifiés pour une thérapie par les statines. Les personnes inclues furent
randomisées pour recevoir soit de la pravastatine ou simplement les soins
habituels de leur médecin.
A la fin de l’étude, 83% du groupe "assigné à la
pravastatine" en prenait toujours et 26% du groupe « soins habituels »
avait commencé une thérapie par un médicament anti-cholestérol prescrite par
leurs médecins. On a là un test parfait pour savoir combien de maladies
cardiaques il est possible de prévenir en triplant le nombre d’Américains sous
statines (car on observe que 26 x 3 = 78%, ce qui est assez proche de 83%).
Cette étude montra que tripler le nombre de personnes sous
statine ne servit à rien, ni à prévenir des crises cardiaques, ni à décroitre la
mortalité totale. Il n’y a aucun bénéfice à augmenter le nombre de patients
sous statines au de-là des normes médicales de 1990 : ni pour les
personnes âgées, ni pour ceux avec ou sans diabète, ni pour ceux avec ou sans
maladie cardiovasculaire et ni pour ceux ayant un LDL supérieur ou inférieur à
1,3 g/L. (Le seul sous-groupe ayant un bénéfice dans cette étude était le groupe
des Afro-Américains qui ont eu moins d’épisodes de maladie cardiaques mais sans
que cela ne modifie la mortalité.)
Ce résultat aurait du faire les gros titres de la presse.
Pourtant, seul le Wall Street Journal rapporta les résultats de cette étude. A part lui, on aurait dit qu’il y avait une censure dans le reste de la presse.
Dans
les journaux médicaux, les résultats de l’étude furent largement rejetés sous
prétexte que le nombre de personnes sous statines dans le groupe « soins
habituels » était si grand qu’on ne pouvait pas montrer de différence
entre les 2 groupes. Mais c’était EXACTEMENT l’intérêt de ces résultats. Les
patients à haut risque traités par les soins habituels recevaient déjà le
meilleur traitement disponible dans les années 90. Et tripler le nombre de personnes
sous statines, comme le recommandait le rapport 2001, ne montrait AUCUN
bénéfice supplémentaire.
Le Docteur Richard C. PASTERNAK, le cardiologue qui écrivit
l’éditorial accompagnant la publication d’ALLAHT dans le JAMA a écrit : »Les
médecins pourraient être tentés de conclure que cette grande étude démontre que
les statines ne fonctionnent pas. Cependant, il est bien connu qu’elles
fonctionnent. » Voilà pour l’Evidence-Based Medecine. En réalité, le
docteur Pasternak s’est trompé de conclusion. Cette étude ne montre pas que les
statines ne fonctionnent pas. Elle montre qu’augmenter le nombre de personnes
sous statines (hors AMM par exemple) n’apporte pas de bénéfices
supplémentaires. Rappelons que le Docteur Pasternak est l’un des 14 auteurs du rapport
2001. Il déclara des liens d’intérêt avec 9 compagnies pharmaceutiques.
Comment voulez-vous qu'un expert corrompu puisse comprendre cet échec, qui met en cause les recommandations de son rapport biaisé ?
Le problème des cancers
Comme l’étude ALLAHT, l’étude “Pravastatin in Ederly
Individuals at Risk of Vascular Disease » (étude PROSPER publiée dans The Lancet en 2002) reçut une faible
couverture médiatique. Pas de nouvelles stupéfiantes ni de changements de
paradigme. Pourtant, à sa façon, elle aurait pu modifier le paradigme en cours.
L’étude testa les effets des statines chez des patients âgés de 70 à 82 ans.
Pour ceux qui n’avaient déjà une histoire de maladie cardiaque, le traitement
ne réduisit pas leur risque de développer une maladie cardiaque ou un AVC. Il
augmenta significativement leur risque de développer un cancer (p =0,02). Ce
risque croissait pour chaque année où ces patients âgés prenaient une statine,
si bien qu’à la 4ème année de l’étude il y avait plus d’un cas
supplémentaire de cancer pour 100 personnes recevant une statine chaque année.
Le rapport complet 2001 était pourtant rassurant à propos
des cancers : « Il n’y a aucune preuve que les médicaments
anti-cholestérol augmente le développement des cancers » (page II-44).
Cependant, un article intitulé « Carcinogenicity of Lipid-Lowering
Drugs »
publié dans le JAMA en 1996 a été oublié. Cet article pointait le
fait que les statines causent
des cancers chez les animaux de laboratoire à des
niveaux sanguins 3 à 4 fois supérieurs à ceux retrouvés en moyenne chez les
patients sous statines. Les auteurs soulevaient la possibilité que les cancers
causés par les statines pourraient mettre plusieurs années pour être détectable
et qu’ils pourraient donc ne pas apparaître dans les études faites à ce jour,
qui durent environ 5 ans et dont l’âge moyen des participants est inférieur à
60 ans.
Nous ne pouvons pas dire si les statines augmentent le risque de
cancers sur le long terme et nous ne pouvons pas tirer de leçons d’une seule
étude isolée. Ce que nous pouvons dire est que la négation d’une telle relation
par
les auteurs des recommandations 2001 et par les auteurs de l’étude PROSPER
(financée par Bristol-Myers Squibb) suggère que le principe « D’abord ne
pas nuire » semble une fois de plus avoir été oublié.
A la suite des recommandations 2001 furent également publiés
2 essais cliniques randomisés qui semblèrent supporter les cibles d’un LDL
inférieur à 1 g/L, en prévention secondaire (l’étude HPS : Heart Protection Study et l’étude PROVE IT).
***** (fin de la traduction du livre de John ABRAMSON, page 146)
Mais si on regarde de plus près le financement de l’étude
HPS, on s’aperçoit que les auteurs ont dissimulé leurs liens d’intérêt avec
MERCK. L’article paru dans The Lancet semble émaner d’auteurs indépendants, du
CTSU de l'Université d’Oxford. Ceux-ci déclarent que l’étude a été conduite et
analysée indépendamment des sponsors, dont l’un est MERCK, qui produit la
simvastatine. Mais un petit tour sur Internet permet de découvrir que
le CTSUde l’université d’Oxford avait un
contrat de 42 millions de livres sterling avec MERCK, pour coordonner une
grande étude (HPS2-THRIVE) visant à tester un médicament augmentant le
« bon » transporteur HDL. Vous comprendrez aisément qu’une telle
somme représente un lien d’intérêt non négligeable.
Citons Michel De Lorgeril sur son blog :
« Ma
principale critique concerne l’opacité des résultats de HPS. Qui peut deviner
en lisant les articles d’Oxford que l’essai
HPS comportait en fait 4 groupes et un double tirage au sort ? En plus de
tester une statine, HPS testait un cocktail d’antioxydants dont les effets sont
controversés, certains investigateurs décrivant des effets négatifs, d’autres
des effets positifs. C’est un facteur de confusion qu’il faut maîtriser.
Si on s’en tient à la statine, seuls deux groupes d’HPS
permettent donc de la comparer avec le placebo. Evidemment la taille de
l’échantillon est divisée par deux quand on compare la statine (sans
antioxydant) au placebo (sans antioxydant), ce qui réduit considérablement la
capacité de l’essai à montrer un effet significatif de la statine ; plus de
5000 patients par groupe quand même.
Si on examine HPS en termes de mortalité, on voit que la
réduction du risque de décès par la statine (en incluant les patients avec
antioxydants, plus de 20 000 patients) n’est que de 13%, ce qui est dérisoire
sur 5 ans.
Pas besoin d’être un grand statisticien pour comprendre
qu’en réduisant l’échantillon à 10 000 (incluant seulement les patients sans
antioxydant), l’effet de la statine sur la mortalité n’est probablement pas
significatif, et HPS prend toutes les apparences d’un essai négatif, ou au
mieux douteux.
Or les investigateurs d’Oxford n’ont jamais publié (malgré
mes demandes) cette comparaison simplissime de la statine contre le placebo
c’est-à-dire en éliminant le facteur de confusion « antioxydants ». Sans prétendre que «
qui ne veut pas montrer a quelque chose à cacher » mais sans être assez niais
pour ne pas avoir à l’esprit qu’il s’agit d’un essai commercial visant à
promouvoir une statine, je reste très suspicieux [peu rassuré !] vis-à-vis
d’HPS, une attitude contraire serait peu scientifique !
De même, les Editorialistes du Lancet, et les rédacteurs du
Figaro, seraient plus audibles si, en même temps qu’ils rapportaient les
exploits d’Oxford [certes, il faut bien remplir les colonnes du journal !], ils
avaient aussi décrits les résultats d’une grande étude épidémiologique publiée
dans le Journal of the American Geriatric Society (numéro d’Octobre 2011) où il
est montré (sans interaction commerciale) que sur un suivi de 14 années, les
sujets qui avaient un cholestérol élevé avaient un risque de cancers plus bas :
une réduction du risque de cancers de 12% pour chaque mmol/L de cholestérol
supplémentaire.
Ce qui suggère qu’il est prioritaire de ne pas abaisser son
cholestérol pour ne pas augmenter son risque de cancers !»
L’étude PROVE IT cherchait
à comparer un niveau de LDL de 1g/L (atteint avec 40 mg de pravastatine) à un
niveau de LDL de 0,7 g/L (atteint avec 80 mg d’atorvastatine). Elle n’est pas
vraiment concluante (“non significant reductions in the rates of death from any
cause", 28 percent, P=0.07) and of death or myocardial infarction (18 percent,
P=0.06)”), dès que l’on sort du piège habituel du critère combiné et subjectif
utilisé dans la majorité des essais sur les statines.
Comme le montre Michel De Lorgeril dans son livre
« Cholestérol, mensonges et propagande », les recommandations
actuelles sont aussi bancales et mal étayées que les recommandations 2001. Mais
il faut pour cela prendre chaque étude publiée en anglais, la lire
attentivement, ligne par ligne, chiffre par chiffre, et ne pas se contenter de
l’abstract, souvent discordant avec
les résultats de l’étude.
Nous sommes vraiment loin de l’idéal initial de
l’EBM.