samedi 19 avril 2014

OMERTA dans les labos : décryptage

Confessions d'un médecin... J'aurai plutôt dit "Confessions d'un ex-cadre des labos, qui se rend compte qu'il n'a pas été un soignant, mais un businessman dont le profit vient du mensonge".
(mais ça aurait fait un titre un peu long...)
A la lecture du livre, je dirai que BD, "l'ex des labos", a bien profité de son gigantesque salaire et des délires offerts par les firmes.
Après s'être gavé, il a eu une sorte d'écoeurement, surtout quand sa position a été menacé et ses avantages réduits.
DECRYPTAGE :
Ses compétences en matière de critique des médicaments paraissent plutôt faible (il croit, par exemple, que la FDA est une agence fiable... Qu'il se renseigne auprès du livre de Peter GOTZSCHE.

Il pense aussi que le NEJM est un bon journal, la Bible américaine de la presse médicale (p 165) alors que c'est un journal très lié à l'industrie).
Mais sa connaissance de la corruption généralisée est intéressante à lire. Comme tout repenti, c'est un bon délateur, après avoir été un collaborateur.
Ceux qui pensaient que les grands journaux étaient fiables, que les essais cliniques étaient rigoureux et que la pharmacovigilance était réelle en sont pour leurs frais.
Et même si cet "ex-cadre des labos" cite Irène Frachon, Gérard Bapt, Catherine Hill, Philippe Even, Prescrire et le Formindep (page 19), cela ne rend pas la longue description de sa carrière plus sympa à lire.
(Il cite encore le Formindep ou la revue Prescrire plusieurs fois dans le livre : p46, p59, p 141, p 166) ou Marcia Angell (p 165) (mais qu'il écrit Engel, preuve de sa méconnaissance du domaine critique...) ou Eléna Pasca (p 166).

J'aurai pu résumer son récit en quelques phrases :
" Quand j'étais cadre des labos, on se gavait de pognon comme vous n'imaginez même pas et on se moquait littéralement des pauvres médecins, si faciles à manipuler. Notre seul souci était de brosser dans le sens du poil les leaders d'opinion (KOL), qui font la pluie et le beau temps dans le petit entre-soi médical français."

Au sein de son récit à vomir, on trouve quand même quelques perles :

Son expérience des labos Merck et SCHERING PLOUGH :
  • Tous les journalistes ont dit qu'il venait du labo MERCK, mais en fait il a passé sa carrière chez Schering Plough (SP), racheté par Merck en 2009.
SP a produit par exemple le Zétia (ézétrol), le fameux anti-cholestérol qui ne sert à rien, sauf à vider les caisses de l'état et à produire des effets secondaires graves chez les patients.
Voir mon article au sujet de ce mensonge commercial.

- le Subutex (buprénorphine) est un produit de Schering Plough, un "substitut de drogue" imposé à la France par lobbying, corruption et pressions politiques

Les essais "marketing" (Chapitre 7 du livre) :
  • Le repenti décrit aussi le rôle MAJEUR des études post-commercialisation, ou phase 4, ou encore "Observatoires". Ces études ne servent quasiment à rien au niveau scientifique, puisque la molécule a déjà un AMM. Mais elles permettent d'élargir le marché ou d'enrichir l'argumentaire marketing pour doubler un concurrent (p 81).
Elles ne sont publiées que si elles permettent un gain marketing, une meilleure pub, des arguments de vente pour les VRP Médicaux (VM). Sinon elles sont enterrées.
Les labos ont accès aux données pendant l'essai et arrêtent l'essai en cas de succès (ce qui économise de l'argent, comme pour JUPITER) ou en cas d'échec, pour cacher les effets secondaires sous le tapis.
Le labo peut proposer une douzaine d'études post-commercialisations pour inonder un pays de sa nouvelle molécule et s'assurer de la collaboration des médecins-chercheurs (p 193).

Faire encore confiance aux essais de phase 4, financés par les labos, serait d'une grande naïveté, avec ce que l'on sait maintenant.

La corruption subtile du corps médical :
  • Un autre point intéressant est que le repenti confesse que les médecins ne sont pas si pourris que ça : la plupart du temps, l'argent va à leur labo, pas dans leurs poche. Ce qu'ils veulent, c'est publier, faire de la recherche, quitte à collaborer avec le labo pour découvrir le prochain remède qui sauvera l'humanité (p 196).
Sauf que le processus corrompt leur libre arbitre et qu'une fois payé, les experts acceptent de "rendre la pareille", en signant un article, en intervenant auprès d'une commission, etc.
Ainsi, un contrat de "recherche" est plus noble qu'un contrat de "consultance" (réservé aux collaborateurs les plus impliqués et les plus payés), mais l'effet reste le même : l'expert n'est plus libre de sa parole.
  • Les médecins participant à des "board" (ou conseils scientifiques) sont les plus corrompus (p 95 à 99). Ce rôle est réservé à « l'élite des KOL » (Key Opinion Leader) (p 76).
(remarque perso : Gabriel STEG cumule contrats de recherche, de communication, de consultance, conseil scientifique. La totale pour ce "cardiologue", noble défenseur des statines...)

Le coup de pouce des gouvernements successifs :
  • L'implication des instances officielles ou des politiques : son livre accuse certains politiques d'être intervenus favorablement, à plusieurs reprises, pour aider au démarrage ou sauver des molécules en péril à cause de scandales sanitaires :
  • Bernard Kouchner, secrétaire d'état à la santé (p 118, p 124 à 126),
  • Simone VEIL ministre de la Santé (p119),
  • Charles PASQUA (p120),
  • l'observatoire français des drogues et des toxicomanies, Drogue info Service, INPES (p122),
  • association Toxicomanie Hépatites SIDA (p123),
  • le RPR, le Sénat (p 126),
  • un rapport officiel d'experts, demandé par Bernard Kouchner en 2001 (p 126),
  • Xavier BERTRAND, ministre de la Santé (p 127)

Rappel du scandale du VIOXX, peu connu en France :
BD a lui-même été victime du VIOXX (p131 et 132). C'est peut-être ça qui a participé à réveiller sa conscience, corrompue par le luxe et le pognon dont il s'est gavés (et qu'il décrit en détails dans son livre).
Il dit : "il m'a fallu perdre la vue pour ouvrir les yeux"

Pourtant, notre repenti pense que le marketing est la normale exagération "d'un produit montré sous son meilleur jour" (p 133). Belle mentalité.

Les marges arrières des pharmacies :
  • C'est une pratique illégal que BD n'a pas voulu cautionner. (p 147).
Il s'agit de payer un pharmacien pour qu'il délivre du SUBUTEX, au lieu d'un générique.
Cette pratique a été "révélée au grand public en 2012, lors de l'émission de télé "Les infiltrés", sous les yeux effarés d'Irène FRACHON." (p 148).

L'hypocrisie des labos face aux défauts de leurs produits :
  • Il illustre cela avec le stylo injecteur du Victrelis (chapitre 13), un traitement contre l'hépatite C.
  • Il montre que les défauts d'un produit sont toujours transférés sur le dos des patients et leur mauvaise utilisation du produit.
Donc, au lieu de régler le stylo injectant le ViraferonPeg (p 182), le labo préfère faire des campagnes "d'éducation thérapeutique".
C'est une action inutile, mais les agences du médicament peuvent alors dire qu'elles ont réagi promptement (même après des années de retard, elles sauvent la face et cachent leur incompétence, voire leur corruption).

Le labo Schering Plough (MERCK maintenant) connaissait très bien les défauts du stylo, qu'il appelait en interne "le stylo pourri" (p 174) et cela malgré l'avertissement d'un professeur du CHU de Nice, Albert TRAN.
Article Libération : L’Afssaps aux trousses du stylo de Merck

Dans le dossier SUBUTEX, les défauts du produit étaient mis sur le dos des "toxicos". (p 175).


L'échec de la pharmacovigilance :
  • En général, les services de pharmacovigilance des labos ne font pas leur boulot : ils ne transmettent pas, ou mal, ou avec retard, ou en cachant des cas de problèmes avec leurs produits.
Cela "consiste à aveugler l'autorité du médicament". (p 180).

Le labo Schering Plough "a admis avoir dissimulé 250 réclamations pour la seule année 2011" (p 183).
Le médicament Victrelis provoque des anémies sévères, ce qui oblige à ajouter de l'EPO, hormone de synthèse qui provoque aussi des effets secondaires (p 195, p 201).

Les industriels savent que les médecins ne font pas bien leur travail de pharmacovigilance. C'est un travail compliqué, non gratifiant et son absence n'est pas sanctionné. On peut dire que 1 médecin sur 100 fait bien son travail dans ce domaine.
Cette sous-déclaration des effets secondaires permet d'ailleurs aux firmes de dire partout que "leurs produits sont très sûrs et qu'il y a très peu de déclarations d'effets secondaires".

Avec 1% des déclarations, ils peuvent se vanter...


Le mépris des labos pour les médecins et les agences :
  • Ce qui est le plus frappant dans ce livre, c'est à quel point les firmes du médicament méprisent les prescripteurs qu'ils influencent et les agences censées les surveiller.
L'Agence du Médicament (AFSSAPS, puis ANSM) est ainsi qualifiée de "vraie passoire infiltrée par les industriels" (p 187).
Les fonctionnaires ont un "faible niveau de compétence", ce qui est énervant quand il faut "leur expliquer 15 fois un mécanisme simplissime" . Mais cela a un avantage : "ces fonctionnaires sont incapables de deviner les petites manipulations des études et des chiffres" (p 187).

De plus, les experts indépendants sont méprisés pour les sommes ridicules qu'ils touchent ("500 euros pour un boulot titanesque !" (p 196) alors que les cadres de l'industrie ont salaire énorme, voyages en classe Affaires et voiture de luxe de fonction.

Pour une analyse utile, on touche 500 euros, alors qu'un prétendu "chercheur" dans une étude de phase 4 va toucher 1000 à 3000 euros pour CHAQUE PATIENT dans une étude inutile et dangereuse pour la santé publique.
Les chèques de 10.000 à 100.000 euros ne sont donc pas rares dans ce luxueux monde de la corruption médicale quotidienne. Et cela est parfaitement légal, puisqu'il y a un contrat, secret pour le public (p 197).

L'argent liquide, circulant dans des enveloppes brunes, existe mais c'est l'exception. La corruption ordinaire est légal, avec TVA et documents administratifs à l'appui. Mais le gouvernement actuel ne veut pas que le grand public connaisse le montant de tels contrats. Il serait alors trop évident que les experts actuels sont tous des employés temporaires des firmes PHARMA.

Les pistes qu'il propose :
  • mieux former le jeunes médecins aux médicaments
  • reformer la Formation Continue, sous influence des labos
  • embaucher de vrais experts indépendants
  • durcir les AMM pour les "me-too"
  • obliger les industriels à TOUT publier
  • rendre obligatoire la déclaration des liens d'intérêts, avec de vrais sanctions
  • publier les sommes versées par les firmes
  • appliquer la législation anti-corruption
  • créer une action de groupe à la française
  • aider la recherche, seule garante de vrais progrès médicaux futurs

Il propose aussi aux patients "d'inviter les praticiens à justifier leurs prescriptions". (p 207), "pour ressortir d'un cabinet médical avec de précieux conseils , mais sans ordonnance à rallonge".

Finalement, beaucoup de "bla bla" pour arriver à formuler ce que le Formindep demande depuis 10 années...


L'autre partie du livre est consacrée à :

- l'affaire VIOXX
 - l'affaire GARDASIL

L'analyse de la journaliste n'est pas mauvaise et pourra apporter quelques informations à un lecteur qui n'a jamais rien lu sur ce sujet.

L'affaire VIOXX (rofecoxib) et CELEBREX (celecoxib) mériterait d'être mieux connue des médecins qui prescrivent des COXIB.












1 commentaire:

  1. Effarant, c'est le seul mot qui me vienne à l'esprit.
    Mais hélas, le pire est que tout est vrai !
    Il n'est d'ailleurs qu'à taper sous n'importe quel moteur de recherche : conflits d'intérêts dans la médecine pour avoir une idée de l'ampleur du problème.
    Comme le pouvoir et l'argent sont liés, tout ceci n'est hélas pas près de changer...

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