vendredi 19 avril 2013

Les statines et la santé des femmes

Il parait qu'un humain sur deux est une femme. Pourtant, les essais cliniques sur les statines ont oublié cette donnée de base. Les femmes sont sous-représentées dans les essais. 
Questions légitime : les femmes bénéficient-elles de l'effet des statines ?



Est-il justifié de se poser cette question ?
Oui. Car les maladies cardiovasculaires touchent différemment les hommes et les femmes.
Les hommes sont plus nombreux que les femmes à mourir d’une cardiopathie ischémique ou d’un infarctus aigu du myocarde, mais l’insuffisance cardiaque et les maladies vasculaires cérébrales frappent davantage les femmes que les hommes.

Une idée reçue (qui court encore malgré les preuves scientifiques) était que les femmes étaient protégées par leurs hormones. Des essais cliniques ont mis fin à cette croyance. C’est même le contraire qu’on a constaté : l’hormonothérapie augmente les risques cardiovasculaires et augmenterait le cancer du sein.

L'étude de Framingham
L’intérêt dans la relation entre la cholestérolémie et les maladies cardiovasculaires remonte aux années 1950 et à l’étude de Framingham. Cette étude a montré que, parmi de nombreux autres facteurs de risque, une cholestérolémie élevée serait associée le risque de maladies du cœur chez les jeunes hommes et ceux d’âge moyen. Toutefois, ces conclusions n’étaient pas valables pour les femmes et les personnes âgées
De fait, « il y a une corrélation significative entre une cholestérolémie totale élevée et une augmentation du risque de décès d’une maladie du cœur uniquement jusqu’à l’âge de 60 ans... [et] le risque de décès de causes autres que les maladies du cœur augmente de façon significative avec une cholestérolémie totale inférieure pour les hommes et les femmes après l’âge de 50 ans. »

Une "cholestérol mania"
La trop grande importance accordée à ce facteur a détourné l’attention des autres facteurs de risque qui sont des indicateurs plus sûrs de maladies et de risques cardiovasculaires.
La « cholestérolisation » des maladies cardiovasculaires– c’est-à-dire, l’accent mis sur un facteur de risque unique – a connu un regain de souffle avec l’élaboration de lignes directrices sur le cholestérol en 2001. Celles-ci, qui furent mises à jour par le National Cholesterol Education Program (NCEP) de 2004, préconisèrent la surveillance de la cholestérolémie dès l’âge de 20 ans ainsi que des taux acceptables beaucoup moins élevés qu’auparavant pour la prévention primaire et secondaire de maladies cardiovasculaires chez les femmes et les hommes. 

Les statines


Les statines font partie du groupe de médicaments inhibiteurs HMG CoA-reductase. Elles agissent en inhibant le 3-Hydroxy-3-MethylGlutaryl-coenzyme A Reductase (HMGR), un enzyme du foie dont le rôle est essentiel aux premières étapes de synthèse du mévalonate, qui va donner de nombreuses molécules indispensables à la vie cellulaire, dont une d’entre elles est le fameux cholestérol. 
Il est faux de dire que les statines inhibent le cholestérol. Elles inhibent plusieurs molécules, un peu comme une boule de bowling renverse plusieurs quilles.



Réduction de la cholestérolémie chez les femmes

En 2003, l’agence américaine qui passe en revue la qualité des études sur les soins de santé a publié un rapport sur les femmes et les maladies du cœur déclarant qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pour établir que la réduction des taux de lipides, peu importe la méthode utilisée, réduisait le risque de crise cardiaque ou d’AVC chez les femmes, les femmes ayant été sous-représentées dans les essais cliniques.



En fait, de nombreuses études prospectives ont montré qu'un LDL bas chez les femmes n’apporte pas de protection et est même dangereux.

Les femmes et les essais cliniques : une méta-analyse de Walsh et Pignone
L'un des examens les plus approfondis des femmes et des essais cliniques de statines a été entrepris en 2004 parWalsh et Pignone. Cette méta-analyse a évalué les données de tous les essais cliniques significatifs de médicaments hypocholestérolémiants (tant les préparations à base de statine que celles sans) et les femmes. 
Comme ce fut les cas des analyses précédentes, les auteurs ont constaté qu’il y avait peu de preuves et que l’on négligeait de désagréger les données sur les femmes dans les principaux essais
Cette étude de plus de 1 500 publications a révélé que les femmes ne figuraient que dans 21 essais cliniques sur la réduction de la cholestérolémie et que seulement neuf de ces essais avaient publié leurs résultats selon le sexe. Environ deux tiers des femmes provenaient de seulement deux études, HPS et ALL-HAT, essais qui ont depuis été contestés. Walsh et Pignone ont contacté les auteurs des études et ont pu obtenir certaines données additionnelles non publiées.


L’analyse de Walsh et Pignone a constaté qu’il n’y avait pas de raisons fondées sur des preuves de qualité élevée pour justifier le recours à une statinothérapie chez les femmes sans cardiopathie connue (prévention primaire) et que les preuves existantes ne démontraient pas que la réduction de la cholestérolémie réduisait la mortalité.
Ils observent que comme les femmes ont un risque moins élevé de maladie cardiovasculaire que les hommes, peu importe l’âge, le nombre de femmes qu’il faudrait traiter pour empêcher une crise coronaire est le double du nombre d’hommes.

Dans l'essai AFCAPS (1998), les femmes ne bénéficient pas des statines de manière significative. On observe 7 événements (groupe lovastatine) contre 13 événements (groupe placebo), ce qui n'est pas significatif, vu le faible nombre de femmes inclus dans l'essai.

Évaluations précédentes des avantages de la prévention primaire chez les femmes
Il est de toute première importance d’évaluer la validité des essais de prévention primaire
et leur utilisation pour justifier les prescriptions aux femmes parce que 75 % des femmes qui prennent des statines le font en guise de prévention primaire.
En plus des travaux de Walsh et Pignone, d’autres études ont soulevé des doutes sur l’utilisation de statines pour la prévention primaire chez les femmes, dont notamment l’examen des essais de prévention primaire de la Therapeutics Initiative, qui a examiné un total de 10 990 femmes. Cette vue d’ensemble a également conclu qu’il n’y avait pas de preuves qu’une thérapie aux statines réduisait les événements cardiovasculaires chez les femmes. 

Une analyse détaillée de l’essai clinique de prévention primaire ALLHAT, qui comprenait des hommes et des femmes choisis pour réduire leur cholestérolémie conformément aux lignes directrices américaines de 2001 sur les statinothérapies, n’a pas constaté d’avantages au plan d’une diminution générale de la mortalité chez les femmes et les hommes ni chez les personnes âgées, avec ou sans maladies du cœur. 
L'essai ALLHAT montre que les recommandations américaines poussent à la surconsommation de statines pour un bénéfice nul pour la santé.
Mais c'est un bénéfice financier énorme pour quelques entreprises...
De plus, l’analyse évoque la difficulté d’extrapoler aux femmes les avantages d’essais centrés sur les hommes. 
Ainsi, un des essais clés de prévention primaire cités par les auteurs des lignes directrices américaines en tant que preuve des avantages pour les femmes ne contenait pas de femmes, en réalité (l'essai WOSCOPS ne comportait que des hommes blancs, écossais, ultra-sélectionnés).
Mensonge ou incompétence des cardiologues américains ?

La théorie du « the lower, the better » étant de moins en moins convaincante (car le marketing sous-jacent a été exposé, analysé et critiqué par des scientifiques indépendants et que le dogme du LDL est en train de tomber), il serait temps d’aborder l'inutilité des statines, surtout dans le cas des femmes.

Sources :

 Abramson J. Overdosed America: The broken promise of American medicine. New York:
Harpercollins, 2004

Walsh JME et Pignone M. « Drug treatment of hyperlipidemia in women ». JAMA. 2004;
291:2243-2252.

Therapeutics Initiative. « Do statins have a role in primary prevention? » Therapeutics Letter 48. 2003.

Officiers ALLHAT. « Major outcomes in high risk hypertensive patients randomized to
angiotensin-converting enzyme inhibitor or calcium channel blockers vs diuretic: The
antihypertensive and lipid-lowering treatment to prevent heart attack trial (ALLHAT). » JAMA.
2002: 288(23):2981-2297.

Primary Prevention of Acute Coronary Events With Lovastatin in Men and Women With Average Cholesterol Levels - Results of AFCAPS/TexCAPS

Effets secondaires des statines : le cas des femmes âgées 

1 commentaire:

  1. Un article fort salutaire qui bat en brèche nombre d'idées reçues : en particulier le fait que les femmes seraient moins touchées que les hommes par l'insuffisance cardiaque. Or selon l'INCa lui-même, elle tue davantage de femmes que les tumeurs. On en parle peu: bien moins médiatique que le cancer du sein.
    Merci également pour avoir pointé du doigt la sous représentation des femmes dans les essais cliniques en cardiologie.

    Rachel Campergue
    http://www.expertisecitoyenne.com

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